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Fortement documenté, ce récit historique se déroule dans un cadre enchanteur, un lac étincelant au cœur des montagnes du Tessin, en Suisse italienne. La narratrice découvre le journal intime tenu par sa grand-mère Louise en 1925, une Française correspondante du Courrier de Genève. La construction du roman mêle allègrement la grande Histoire, celle de l’élaboration d’un traité de paix et la petite, le vécu des journalistes, dont Louise, qui traquent la moindre lueur pour témoigner en avant-première de l’issue incertaine de cet accord.  

Cette conférence réunit le chancelier allemand, Hans Luther, et sept ministres chargés des affaires étrangères : le français Aristide Briand, l’anglais Chamberlain, l’allemand Stresemann, le belge Vandervelde, l’italien Scialoja, ainsi qu’un polonais et un tchécoslovaque. Malgré les blessures encore vives de la Grande guerre, ils s’engagent tous dans une mission périlleuse : sauver la paix. La vivacité d’esprit d’A. Briand domine ces journées : « Entre la France et l’Allemagne, il n’est pas d’autre alternative : l’amitié ou la guerre. » ou « L’accord que nous consacrons par nos signatures a ceci d‘encourageant : il procède d’un esprit nouveau. A l’esprit de précaution, de soupçon, se substitue l’esprit de solidarité. » La finesse de ses discours est aussi liée à son directeur de cabinet, Alexis Léger, plus connu sous le nom de Saint-John-Perse. D’autres personnages fascinants émergent, Chamberlain et sa femme très glamour, l’allemand Stresemann qui tente de réhabiliter l’Allemagne de Weimar sur le plan international malgré les pressions du mouvement national-socialiste. 

Style très pittoresque

Aux côtés de Wibeau, correspondant du Berliner Tageblatt, Louise évoque avec panache les propos de Romain Rolland « Peuples de toutes races, plus coupables, moins coupables, tous saignants et souffrants, frères dans le malheur, soyez dans le pardon et dans le relèvement ! ». Lui qui a vécu la guerre de 14 doute davantage d’une paix sincère. Entre les réunions se profilent l’ambiance de l’époque, les soirées fox-trot, une représentation de la Commedia del Arte, des rencontres avec des artistes de la région, la peintre russe Marianne von Werefkin, l’écrivain Hermann Hesse, et le singulier écolo-anarchiste Gusto Gräser. 

Le style très pittoresque permet de bien cerner la situation géopolitique de l’époque, la psychologie des participants, la complexité et la fragilité des accords diplomatiques. Un livre puissant qui éclaire sur la construction de l’Europe, montre comment l’Histoire s’écrit entre les négociations, les silences et les parenthèses en marge des grands traités. Une image métaphorique s’inscrit tout au long de ce roman captivant, l’aigle attaquant un lâcher de colombes au-dessus du lac. 

Isabelle Wagner 

Christine de Mazières, Locarno, Seuil, 2025, 304 p., 20,90 €  

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