RENCONTRE – Le franciscain vient de sortir un livre dans lequel il raconte sa vie de troubadour itinérant. De cette démarche atypique naissent des rencontres parfois bouleversantes.

De chanteur de bar à moine musicien. Tel est le destin du frère Jacques Jouët, religieux franciscain installé à Nantes depuis six ans. Son style à lui, c’est le folk. L’artiste compositeur chrétien a déjà sorti cinq albums et a contribué récemment à un sixième. En mars, c’est d’un autre art qu’il s’est emparé : la littérature. En collaboration avec Valérie Mazeau, le Morbihannais originaire de Josselin a publié Le ménestrel de Saint-François (Éditions Salvator), un livre dans lequel il raconte sa vie de troubadour itinérant. À 58 ans, il aime toujours autant partir sur les routes, guitare sous le bras, mendier sa nourriture et un toit pour dormir. Une vie incongrue pour ce catholique qui se définit lui-même comme «inclassable».

«Je n’arrive pas à rentrer dans des cases», confie l’artiste libre, qui vit dans le centre de Nantes, dans la même enceinte que dix autres religieux. Mais pas dans le même bâtiment. Lui occupe seul une maison qu’il partagea jadis avec trois migrants, dont Emmanuel Abayisenga, l’incendiaire de la cathédrale de Nantes, avant qu’il ne «pète les plombs». Paré de sa bure, c’est dans la cuisine de ce logement que l’ecclésiastique retrace son parcours.

Adolescent fêtard

Ayant grandi dans une famille fervente de cinq enfants, il ressent dès l’enfance le désir de devenir prêtre. Adolescent, l’autodidacte guitariste oublie ce projet, préférant s’investir dans ses amitiés et faire la fête dans les boîtes de nuit. C’est à ce moment qu’il commence à chanter dans les bars. À l’âge de 24 ans, après avoir exercé plusieurs métiers comme éducateur, surveillant dans l’administration pénitentiaire, et avoir travaillé auprès du prêtre star de l’époque Guy Gilbert, il rentre au séminaire de Vannes. Il y reste quatre ans, sans être ordonné. Après cette période, il écoute la suggestion d’un conseiller spirituel et rentre chez les Franciscains. Une vocation qui lui correspond parfaitement, lui qui partage avec saint François d’Assise, le fondateur de son ordre, l’expérience de la musique mais aussi de la pauvreté.

Lors de son noviciat, il découvre «l’itinérance», la deuxième révélation de sa vie après la musique. Marchant sur les routes de France, d’Italie ou de Belgique, il sonne chez les gens, les priant de l’héberger pour la nuit. Partant le plus souvent à deux, il s’inscrit dans une démarche de dépouillement. «Nous sommes dans un monde civilisé où l’Homme se coupe de Dieu et se renferme dans sa bulle. Ça en devient déshumanisant», observe Jacques Jouët, pour qui «l’itinérance rappelle que l’amour se manifeste dans les pauvres».

Concerts et compositions

Ses pérégrinations, qui étonnent parfois jusqu’à ses propres pairs, peuvent donner lieu à d’incroyables rencontres et porter du fruit. Un jour, sa visite a permis à une dame de se réconcilier avec l’Église qu’elle avait longtemps rejetée. Une autre fois, dans un cadre un peu différent, il a pu aider une jeune femme à sortir de la drogue et de la prostitution, elle qui lui avait initialement fait une proposition… Il lui est aussi arrivé de tomber par hasard sur le maire de Besançon, la ville où il a habité pendant onze ans. Des années qu’il a particulièrement appréciées, durant lesquelles il a donné de nombreux concerts.

En 2019, il a été appelé à Nantes, où il continue à composer des chansons de temps à autre et proposer des concerts. Il anime des messes, et participe chaque mercredi soir à des maraudes, sans oublier son investissement auprès de personnes handicapées et… toujours ses itinérances. Désormais, il part environ une fois par an cheminer. Du 18 au 28 juillet, il reprendra la Via Ligeria, cette route crée par des Nantais permettant de rallier Nantes à Rome. L’an dernier, avec un comparse, ils s’étaient arrêtés à Tours. À l’avenir, frère Jacques, qui se laisse guider par la providence divine, aimerait marcher plus longtemps.

Frère Jacques Jouët habite place Canclaux, dans le centre de Nantes, où sont implantés les Franciscains.
LT/Le Figaro