Par

Inès Cussac

Publié le

19 mai 2025 à 6h24

À Paris, c’est chacun son coin. Quand une plaque de rue disparaît d’un coin d’immeuble, une petite annonce fleurie presque aussi vite sur le site de revente en ligne Leboncoin. Début mai, le remplacement d’une plaque historique dans le 4e arrondissement par une nouvelle a suscité la curiosité de Jacques. En quelques clics seulement, il a retrouvé des centaines de panneaux en acier bleus à lettres blanches. Mystérieusement disparus du paysage, ils sont désormais à vendre sur la plateforme. Il faut compter entre 50 et 500 euros pour s’offrir un morceau de la capitale. « Ça montre l’ampleur du problème et ça montre qu’il serait relativement facile pour la mairie de Paris de limiter les dégâts », se désole ce Parisien qui vient de publier son enquête sur les réseaux sociaux. Certaines plaques sont usées, d’autres tout à fait neuves. Certaines nomment des rues qui n’existent plus, d’autres des célèbres artères qui, à leur seul nom, suffisent à évoquer l’image de Paris. 

Des biens inaliénables

« Quelle tristesse de voir disparaître les plaques de rue de Paris […]. Nous avons fait le boulot de la mairie. Nous en avons retrouvé, beaucoup. Et ça n’a pas été compliqué », fait-il remarquer dans sa publication postée sur X.

Pour mener ses investigations, Jacques a recherché sur Google maps les rues dont les plaques sont à proposées sur Leboncoin. Comme celle de la rue Olivier de Serres. En comparant l’image prise en 2010, le panneau est bien accroché au mur. Mais en 2016, il disparaît sans être remplacé en 2020. Aujourd’hui, elle est affichée à 350 sur Internet. « Autrefois, il y avait des plaques en haut et en bas pour les piétons. Aujourd’hui, beaucoup de plaques du bas ont disparues », fait remarquer le Parisien chevronné.

Ces disparitions de l’espace public sont parfois dues à des vols. Les vendeurs d’Internet assurent avoir trouvé leurs produits en salle de ventes ou en brocantes, « par hasard ». Certains semblent toutefois être des spécialistes de la signalétique d’arrondissement. L’un propose des noms de rues du 9e uniquement, un autre est le pro du 12e et du 13e. Au niveau des prix, ils varient selon plusieurs critères. Si le produit date du siècle dernier, il aura plus de valeur qu’un récent. Le nom de la rue, iconique ou inconnu, pèsera aussi dans la balance tarifaire.

« Du fait de leur esthétique emblématique, de leur durabilité reconnue et de la popularité prise par la capitale à travers les époques, elles sont aujourd’hui un objet convoité », reconnaît la mairie de Paris qui, dans sa boutique de l’Hôtel de Ville, en commercialise aussi. Le design, libre de droit, a néanmoins été déposé et les produits sont numérotés. « Il n’est donc pas possible aujourd’hui d’affirmer que les plaques retrouvées sur les différents sites de reventes et d’occasions en ligne sont de réelles plaques de rue », se défend-elle.

Certains revendeurs proposent des plaques de rue toutes venues d'un même arrondissement.
Certains vendeurs proposent des plaques de rue provenant toutes d’un même arrondissement. (©Capture d’écran Leboncoin)

Vérifier la provenance de toutes les plaques nécessiterait un travail de fourmi pour la Ville, responsable de ces biens pourtant inaliénables. « Ce n’est pas parce qu’on voit passer une plaque de rue parisienne dans une brocante ou une vente aux enchères qu’elle a été volée ou que la vente est illégale », rappelle Jacques. Certaines sont effectivement réformées à la suite d’un changement de nom de rue ou parce que devenus inutiles. Une construction d’immeubles avec des façades en verre ou un agrandissement de devantures de commerces par exemple peuvent en outre constituer des contraintes techniques rendant impossible la pose de plaque. Ainsi, elles se volatilisent de l’espace public. Théoriquement, elles sont ensuite conservées par la municipalité qui peut s’en débarrasser en passant par le Domaine, le service public de ventes aux enchères.

Ce que je fais moi dans mon coin, en quelques heures, la mairie de Paris avec ses 55 000 employés pourrait le gérer au quotidien.

Jacques

Pour tenter de lutter contre ces disparitions, la mairie avait lancé un recensement participatif en décembre 2023. A l’occasion des Jeux de Paris 2024, avant l’arrivée des millions de visiteurs dans la capitale, elle avait incité les Parisiens à localiser les façades dépourvues de plaques notamment pour faciliter leur orientation.

A l’approche des Jeux de Paris 2024, elle comptait ainsi sur les Parisiens pour l’aider à orienter les visiteurs qui étaient attendus. Ils pouvaient notamment localiser les façades dépourvues de leurs plaques. Chaque année, la Ville en remplace environ 200 mais, en 2024 à la suite de cette campagne, 1 280 écriteaux ont été posés. « À ce jour, il reste encore 300 plaques à poser, sur les 1 200 signalements jugés recevables », indique-t-elle.

« Bien sûr, tout cela est anecdotique, on ne parle pas d’un hôpital », relativise de son côté l’enquêteur Jacques. « C’est comme une ampoule à changer ou une vitre à laver, si l’on ne fait rien on se retrouve un jour avec des appartements insalubres. Ce sont des petits travaux du quotidien, invisibles et peu gratifiants. Mais à terme, ce sont les plus importants. »

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