Philosophie et militantisme de terrain. À 86 ans, retraité de l’Éducation nationale, Gérard Tautil, professeur émérite de philosophie et de provençal de 1969 à 1988 au lycée Beaussier de La Seyne, retiré dans la campagne signoise, n’en poursuit pas moins ses activités militantes. Engagé de longue date dans le mouvement régionaliste, celui qui a continué à donner des cours d’initiation au provençal et à l’occitan jusqu’à l’année dernière, à Signes, vient de publier un dixième livre: Par les rues et chemins de Signes. Signa, Per carrieras « camins. Petite géographie cordiale d’un village provençal ». Sous jacente, sa réflexion peut se transposer à tous les territoires.
Un nouveau livre sur Signes?
J’en avais écrit un en 2015 intitulé Toponymie de Signes qui portait sur l’ensemble des noms de lieux de la commune dans un sens large, du Beausset à Méounes. Le dernier, fruit d’un travail collectif, a été écrit en réponse à une demande locale et concerne le centre du village et ses chemins alentour. En lien avec la mairie, le travail a été réalisé par un groupe d’environ dix personnes, des adjoints et des Signois, à partir de mai 2023.
Vous n’enseignez plus mais vous continuez à animer?
C’est un peu la même démarche. Je continue à travailler, mais toujours en liaison avec une collectivité autour de moi. C’est ma façon de fonctionner. Je ne suis pas enfermé dans une réflexion personnelle.
Vous tracez un lien entre l’étymologie et une histoire souvent conflictuelle…
Nous avons détaillé étymologiquement une centaine de noms de lieux, chemins, quartiers, rues, places, placettes, impasses… avec leur évolution, depuis la fin du XIXe siècle et dont la signification montre que l’histoire à toujours un cheminement conflictuel. Et que dans le souvenir des noms de lieux, il y a des choix qui sont toujours arbitraires. Selon les municipalités on retient des noms, on en oublie d’autres ou on les efface…
À l’exemple de la rue Louis-Lumière…
Durant l’Occupation, les frères Lumière ont entreposé, pour le sauver de l’occupant, leur matériel scientifique, rue Grande, dans la maison Trotobas. Sous le dernier mandat du maire André Rousset, dans les années 1950, a été apposée une plaque rappelant l’évènement dans une rue rebaptisée « Louis Lumière ». Or, on ne peut pas ignorer le jugement élogieux énoncé par Louis Lumière sur le régime de Vichy. Cette artère devrait retrouver son appellation initiale.
L’aspect positif tient à un ciment sémantique?
Il y a une cohérence des noms de lieux d’origine provençale. Le lien sémantique originel a été préservé. Avec des noms que l’on retrouve partout. Malgré la dernière strate française, c’est-à-dire la francisation des noms de lieux, les noms provençaux sont toujours sous-jacents.
D’où le lien avec un travail de mémoire et de récupération de la culture provençale?
En accord avec la mairie, nous allons essayer de redonner aux rues leurs noms provençaux, avec des traductions, comme nous l’avons déjà fait dans le centre-ville de La Seyne, avec le Cercle Occitan, sous la mandature de Marc Vuillemot. Et comme cela s’est fait dans de nombreux villages. Pour Signes, le principe est acquis. Le projet collectif du livre peut donc déboucher sur une vision de la politique culturelle qui retrouve ses origines, ses racines.
La toponymie est donc politique?
C’est une invitation à une récupération de la langue et de ses racines. Je prends pour exemple l’à-peu-près et l’approximation des actuelles cartes IGN qui ont transposé la toponymie des relevés des Cassini au XVIIIe siècle, des gens qui ne connaissaient pas la langue française. À opposer au cadastre napoléonien de 1812, qui sert à faire la guerre et donc se montre lui précis dans les relevés toponymiques et les microtoponymes en occitan. Le travail de régionalisation des cartes IGN sur la base du registre napoléonien a commencé. Déjà 2.000 noms de lieux ont été actualisés.
Le régionalisme contre l’extrême droite.
Vous poussez plus loin l’analyse!
Dans mon livre Le roman national français au défi de l’extrême droite, une mise à nu de l’argumentaire du Front National et une analyse des élections régionale de 2015, je montre que là où le régionalisme perce, le FN – aujourd’hui le RN – à des résultats moindres.
Un chapitre est aussi consacré aux noms de lieux d’origine hydronymique?
Nous avons, à Signes, la plus grande réserve d’eau du Var après Canjuers. C’est le réservoir naturel de la Sainte Baume, qui va jusqu’à la colle d’Anis, la montagne qui se trouve derrière nous; il y a de nombreuses sources et résurgences ; des ruisseaux. Sans oublier un important système de fontaines. Tous ces hydronymes, noms en lien avec l’eau (à opposer aux oronymes, nom en lieu avec la pierre), sont donc une spécificité.
Signes, un village riche d’histoire. Photo doc Dominique Leriche.
Ça reste entre nous: coups de cœur et petits secrets
Où emmenez-vous quelqu’un qui vient chez nous pour la première fois?
Dans l’ouest Var, à Signes, bien sûr! Je fais visiter le village, qui n’est absolument pas un musée, et son environnement attractif.
Avec une baguette magique que changeriez-vous dans la région?
Je changerais la politique de gestion régionale en donnant aux communes une représentation et une autonomie plus large, fondées sur des budgets conséquents.
Qu’est ce qui vous manque quand vous n’êtes pas dans la région?
Je m’éloigne très rarement de la région. Et, quand cela m’arrive, c’est exceptionnel. Je me dépêche donc de rentrer chez moi.
Si vous deviez vivre dans une autre région, laquelle choisiriez-vous?
Je choisirais la Corse, qui est un très beau pays.
Qu’est ce qui vous met de bonne humeur le matin?
Ne pas allumer la radio.
Et de mauvaise humeur?
Allumer la radio, ou la télévision et regarder les chaînes tant publiques que privées.
Bio express
1938
Naissance le 28 juin à Rabat (Maroc).
1965
Capes de philosophie. Les événements de 1968 l’empêchent de passer l’agrégation.
1969 à 1988
Professeur de philosophie et de provençal à La Seyne.
1981
Candidat régionaliste aux législatives à La Seyne.
1997
Dirige la rédaction de son premier livre: Chemins d’Occitanie – Politique occitane, 1974-2000.
2025
Dixième livre: Par les rues et chemins de Signes. Signa.