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7 avril 2025 à 17h30, mis à jour le
7 avril 2025 à 18h46
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Bluesky
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Le magistrat Benjamin Blanchet, vice-président au tribunal judiciaire de Paris, met en garde contre les attaques visant le corps judiciaire à la suite de la condamnation en première instance de Marine Le Pen.
Cet article est une tribune, rédigée par un auteur extérieur
au journal et dont le point de vue n’engage pas la rédaction.
Le jugement rendu le 31 mars dernier par la 11e chambre du tribunal correctionnel de Paris aura donné lieu à un incroyable déferlement de fiel. Haine de la justice, des magistrats qui l’exercent et, évidemment, de la séparation des pouvoirs qui garantit son indépendance.
Pourtant, que s’est-il passé ? Quelle forfaiture le corps judiciaire a-t-il commise ? De quelle prévarication s’est-il rendu coupable ? Quel crime odieux souille encore une fois son action ? La réponse à ces indécentes interrogations est confondante de simplicité : il a rendu un jugement au nom du peuple français et conformément à la loi, au terme d’un délibéré ayant lui-même succédé à un débat contradictoire de plusieurs semaines durant lequel toutes les parties ont pu s’exprimer librement. Pour cela, il doit subir les horions de condamnés n’hésitant pas à utiliser leurs fonctions publiques électives et leur puissance médiatique pour jeter le discrédit sur leurs juges et les taxer de toutes les partialités et de toutes les perfidies.
De nos jours et il faut en être instruit, la critique d’une décision de justice ne s’opère donc plus par l’usage des voies de recours légalement tracées. Ces temps où la démocratie française était empreinte d’un respect intangible des institutions républicaines sont aujourd’hui révolus. On en appelle dorénavant au peuple souverain pour tenter d’anéantir un acte juridictionnel. La justice du peuple serait la seule qui vaille, infaillible et immaculée. Elle disposerait de toutes les compétences, de toutes les sagesses et serait maîtresse des équilibres et de l’impartialité.
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Dès lors, en appeler au peuple laverait le corps judiciaire de ses miasmes partisans et lui assénerait la leçon de démocratie que requièrent ses turpitudes. Le juge ne bénéficie en effet plus de la présomption d’innocence ou, plus exactement, de celle de soumission de ses actes au seul droit positif. Lorsqu’il relaxe ou condamne insuffisamment un citoyen ordinaire, le magistrat est laxiste, veule et incapable. Quand il sanctionne avec rigueur un représentant de la classe politique, le juge est politique, séditieux et ivre de répression. Dévorée par un désir d’élimination des ennemis d’un « système » dont on n’a jamais véritablement su de qui ou de quoi il était composé, la justice française développerait inlassablement des trésors de rouerie pour œuvrer contre celui au nom duquel elle agit, et ce, dans le secret dessein de conquérir le pouvoir et ainsi de déposséder le suffrage universel de ses prérogatives les plus élémentaires.
Le seul fait d’énoncer cette théorie artificieuse est une agression. Agression contre le droit, contre nos institutions, contre la séparation des pouvoirs et donc contre notre Constitution. Etrange discours que celui qui hurle au rétablissement urgent et impérieux de l’autorité et saccage simultanément l’un de ses piliers dans le seul objectif de défendre, coûte que coûte, des intérêts catégoriels. L’autorité judiciaire et son indépendance sont protégées par l’article 64 de la Constitution de 1958, laquelle a été adoptée par le peuple souverain s’exprimant par la voie du référendum et à une très large majorité. Curieux réflexe par suite que celui qui consiste à remettre en cause une expression directe de la souveraineté nationale tout en célébrant les inaltérables vertus d’une entité touchée par la perfection.
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Et que dire du respect de la loi – cette autre expression de la volonté générale formant le socle de notre cohésion nationale – et des magistrats de la République ? « Chasse aux sorcières », « Décision politique », « Décision judiciaire injuste et scandaleuse », « Etat de droit bafoué », « Date sombre dans l’Histoire de France » sont autant de termes venimeux ayant publiquement qualifié, dimanche dernier, le jugement du 31 mars. On jette ainsi en pâture des personnes représentant l’autorité de l’Etat et ayant agi dans le strict exercice de leurs fonctions. Au mépris de leur intégrité physique et de leur honneur de magistrat. Là encore, les mêmes qui se montrent particulièrement sourcilleux avec le nécessaire respect dû aux fonctionnaires de police et militaires de la gendarmerie nationale, affichent sans honte la plus grande générosité verbale lorsqu’il s’agit de conspuer l’institution judiciaire. Après tout, elle le mérite tellement…D’aucuns n’hésitent d’ailleurs pas à affirmer que celle-ci vaudrait l’application de réformes structurelles et affaiblissantes. Par exemple, lui supprimer la liberté syndicale en interdisant dorénavant aux magistrats de défendre leur intérêt collectif – alors que ce droit leur est reconnu depuis 1972 par le Conseil d’Etat – serait un tel progrès. Il est vrai que la priver d’un droit fondamental n’aurait, de toute manière, rien de révoltant eu égard à la nature essentiellement peccable de ce corps indiscipliné.
Ne nous y trompons pas : le combat mené contre la justice est d’une extrême gravité. Le seul fait de porter de la sorte atteinte à son autorité et à son indépendance, de l’accabler d’opprobre pour essayer de diluer grossièrement une déclaration de culpabilité massive du chef de détournement de fonds publics dans la flaque de l’exécution provisoire prévue par les dispositions de l’article 471 du Code de Procédure pénale, et de faire croire aux électeurs que les juges décident arbitrairement de l’identité des futurs candidats à l’élection présidentielle est une insulte proférée tant à l’esprit qu’à la lettre de la Constitution de la Ve République.
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L’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 dispose pour sa part que « toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». En définitive, la contestation de l’Etat de droit est donc bien une idéologie foncièrement anticonstitutionnelle et des plus dangereuses pour la Nation.
En démocratie, un peuple choisit son destin. Il lui appartient donc de dire s’il entend, par un rejet univoque de tout langage antijudiciaire, réaffirmer son attachement à l’Etat de droit, aux institutions de la République et à ses magistrats ou s’il souhaite maintenant consacrer l’avènement d’un Etat autoritaire. Ou pire.