À Rome, le mythe fondateur repose sur un meurtre entre deux frères. À Marseille, sur une histoire d’amour entre une princesse et un étranger. Une différence révélatrice de la valeur d’hospitalité que souhaite porter la cité phocéenne, même si la réalité s’avère plus complexe. « Dans cette légende, la princesse locale Protis accueille et choisit le bel étranger grec Gyptis« , retrace d’abord Edmond Échinard, professeur d’histoire, lors du débat « Être Marseillais, ça veut dire quoi ? », organisé le 19 mai au siège de La Provence. Mais la suite de cette légende marseillaise, peu connue, met en exergue l’ambivalence de la cité : une terre d’accueil qui reste difficile à intégrer.

« À la génération suivante, le frère de Gyptis se retourne contre les Marseillais qui l’accusent de venir manger le pain des Ségobriges. Ce qui montre que malgré l’intégration de Gyptis, la ville ne souhaite pas appartenir aux étrangers », précise-t-il. Au fil des siècles, les arrivées successives de population cristallisent cette ambivalence. À la fin du XIXe siècle, une importante vague d’Italiens arrive à Marseille. Plusieurs jours d’émeutes se dérouleront au cœur de la cité phocéenne en 1891 pour dénoncer leur installation.

« La population marseillaise est constamment renouvelée »

Avec ces flux constitutifs de l’histoire de la ville, des Marseillais sur plusieurs générations se font pourtant rares. « La population y est constamment renouvelée. Le Marseillais de souche n’existe pas, il est toujours venu d’ailleurs, même si cela remonte au XVe siècle », note Edmond Échinard.

Une multitude d’installations bon gré mal gré qui permettent aujourd’hui à Marseille de se distinguer en tant qu’écrin de nombreuses diasporas, arméniennes, italiennes ou encore algériennes. « Ce sont des Marseillais qui se sont installés depuis plusieurs générations et qui constituent aujourd’hui une part considérable de la démographie de la ville », précise Samia Chabani, sociologue de formation et fondatrice de l’association Ancrages.

Cette dualité continue de composer l’identité marseillaise. « Nous passons notre temps à dire que Marseille est la plus belle ville du monde mais quand les gens viennent, nous leur disons de rester chez eux », pointe Médéric Gasquet-Cyrus, maître de conférences en sociolinguistique à Aix-Marseille Université. Aujourd’hui, Marseille s’apparente plus à une terre d’étape que d’accueil pour les réfugiés ou les migrants. « Ils passent par Marseille, mais c’est une ville où il est difficile de trouver du travail, de s’insérer, même si certains réussissent tout de même à s’installer », affirme Samia Chabani.