Le pape Léon XIV a proposé d’accueillir des pourparlers entre l’Ukraine et la Russie au Vatican, selon Washington.Une offre inscrite dans une longue tradition diplomatique du Saint-Siège, mais qui semble à ce stade bien difficile à mettre en place.Kiev et ses partenaires européens ont salué cette proposition, mais il est peu probable que la Russie accepte d’envoyer une délégation au Vatican.

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À peine élu par le conclave, il serait déjà prêt à organiser des négociations majeures sous la houlette du Vatican. Le pape Léon XIV serait « très intéressé par l’organisation de négociations » entre l’Ukraine et la Russie (nouvelle fenêtre) au Saint-Siège, a assuré lundi 19 mai le président Donald Trump, juste après un appel avec son homologue russe Vladimir Poutine. Kiev et plusieurs de ses alliés européens se sont déjà dits partants, mais difficile d’imaginer pour l’heure que l’initiative voit réellement le jour. 

Le Saint-Siège n’a pas confirmé officiellement cette invitation, mais le secrétaire d’État du Vatican, Pietro Parolin, a affirmé que le souverain pontife se montrait ouvert à une « rencontre directe » entre délégations ukrainiennes et russes au Vatican, selon la presse italienne. « Le Saint-Siège est disponible pour que les ennemis se rencontrent et se regardent dans les yeux », avait déjà assuré la semaine dernière le premier pape américain de l’histoire (nouvelle fenêtre), élu le 8 mai dernier. 

Une longue tradition de « médiation »

Une initiative dans la droite lignée de la tradition géopolitique pacifiste (nouvelle fenêtre) de la papauté, une « puissance sans État » et neutre depuis l’annexion des États pontificaux et de Rome par le Royaume d’Italie en 1870, rembobine Yves Chiron, historien spécialiste de l’Église. « Les papes ont pu mener ce qu’on a appelé une diplomatie des bons offices, depuis le pontificat de Léon XIII à la fin du XIXe siècle : une médiation entre deux nations en conflit, et parfois même un arbitrage lorsque les deux pays sont catholiques », relève l’auteur de Françoisphobie (éditions Cerf, 2020). Sous le pontificat de ce même Léon XIII, 16 « bons offices » ont ainsi été organisés. « Par sa proposition, Léon XIV est donc bien dans la ligne du pape dont il porte le nom », constate l’expert. 

Ces dernières décennies, le Saint-Siège n’a pas accueilli à proprement parler de négociations directes entre des puissances sur son propre sol. Mais les papes « sont intervenus en recevant au Vatican tel ou tel protagoniste, et surtout par l’action des nonces apostoliques dans les pays concernés ou par l’envoi d’un cardinal chargé d’une mission au nom du Saint-Siège (nouvelle fenêtre)« , poursuit l’historien. Un traité a même été signé au Vatican en 1984 entre le Chili et l’Argentine, évitant que des tensions territoriales tournent à la guerre ouverte.

Et ces dernières semaines, une brève entrevue entre le président ukrainien Volodymyr Zelensky et Donald Trump, en marge des funérailles du précédent pape François fin avril, a rappelé ce rôle géopolitique du Saint-Siège (nouvelle fenêtre). Léon XIV serait désormais prêt à accueillir des négociations russo-ukrainiennes, dans un format qu’on imagine beaucoup plus encadré. 

Depuis son élection, le nouveau souverain pontife a d’ailleurs placé le conflit en Ukraine au cœur de ses préoccupations, affichant un soutien à Kiev plus net que ne l’avait fait son prédécesseur. Le cardinal Prevost, de son vrai nom, a déjà reçu en audience privée (nouvelle fenêtre) le président ukrainien Volodymyr Zelensky dimanche, après avoir évoqué une Ukraine « martyrisée » et plaidé pour une « paix juste et durable ». François avait lui aussi appelé sans relâche à la fin des combats dans le pays, mais certaines de ses formules avaient heurté Kiev, notamment lorsqu’il avait enjoint à hisser « le drapeau blanc » face à Moscou. 

Un pari perdu d’avance ?

Mais de là à ce que des pourparlers avec des délégations russes et ukrainiennes voient réellement le jour au Vatican, rien n’est moins sûr. « Si Léon XIV n’a pas le même regard que le pape François sur l’affaire ukrainienne, il n’en reste pas moins que le pape ne peut pas être juge et parti », estime le journaliste Bernard Lecomte, spécialiste du Vatican et auteur du livre France-Vatican, deux siècles de guerre secrète (Ed. Perrin, 2024). 

Le souverain pontife est en effet le chef spirituel de l’Église grecque-catholique ukrainienne et ses quelque six millions de fidèles. « Et il y a une espèce de détestation rédhibitoire de la part des dirigeants orthodoxes russes à l’égard du pape », souligne-t-il. Conséquence : la Russie risque de refuser l’invitation. « On ne voit pas comment il pourrait être médiateur dans ces conditions », insiste l’expert. 

Pour lui, l’initiative est tellement risquée qu’il est surprenant que le Vatican s’y lance de son propre chef. À ses yeux, ce serait surtout Washington qui pousserait pour que ces pourparlers soient organisés par le nouveau souverain pontife américain, avec qui l’administration Trump parvient à établir le contact, bien plus qu’avec son prédécesseur. Elle pourrait même chercher à se décharger de ce dossier encombrant pour elle, face à des négociations qui s’enlisent (nouvelle fenêtre). « Le président américain semble en train de chercher un moyen de lâcher les choses, sans paraître avoir perdu l’affaire. Si le pape organise des négociations et y échoue, il pourra dire : même si lui n’a pas réussi, c’est que c’était impossible », déroule le spécialiste.

Certains appellent toutefois à ne pas surestimer l’influence que pourrait avoir Donald Trump sur ce nouveau pape. « Il faut oublier, je crois, sa nationalité d’origine : Léon XIV ne se soucie ni de plaire ni de déplaire à Trump », insiste Yves Chiron. Toujours est-il que lui aussi estime qu’il n’y aura « sans doute pas de négociation au Vatican » sur l’Ukraine, faute d’accord des Russes, qui ne considèrent pas le Vatican comme « une puissance neutre ». Pour autant, « le pape continuera à agir et à intervenir auprès des deux camps dans la mesure du possible », assure le spécialiste, qui rappelle que « l’action du Vatican, dans le domaine géopolitique comme dans d’autres, est toujours à juger sur le long terme ».

Maëlane LOAËC