Mathieu Kassovitz est de retour au Festival de Cannes trente ans après la présentation de son film culte La Haine. Et il n’était pas seul : Alexander Ferrario, Alivor et Samy Belkessa, acteurs de la comédie musicale inspirée du film l’ont accompagné sur la Croisette.
Alors que le spectacle tourne en province avant de retourner à La Seine musicale à Boulogne en novembre, le réalisateur est revenu sur ce film qui a tant marqué sa vie et sa carrière.
Vous doutiez-vous que « La Haine » serait encore d’actualité trente ans après son passage à Cannes ?
Evidemment pas ! J’étais déjà content de tenir une semaine en salle. Au bout d’un mois, je me suis dit qu’il se passait un truc parce qu’il y avait tout un débat autour du film qui dépassait le film lui-même. Cela s’est poursuivi au fil des années. Dès qu’il y avait des bavures judiciaires, le film revenait sur le tapis. Et ça dure depuis trente ans ! Ce n’est pas moi qui n’oublie pas La Haine, c’est La Haine qui ne m’oublie pas.
Le Festival de Cannes a-t-il évolué en trente ans ?
J’ai évolué aussi. Je pense que, dans les années 1990, le cinéma avait naturellement une place plus naturelle, plus organique. Si vous vouliez aller voir un film, il fallait aller au cinéma. La vraie expérience, c’est aller au cinéma. Et c’est ce qu’on faisait dans ces années-là et qu’on retrouve toujours au Festival de Cannes. Maintenant, je commence à étudier de nouvelles techniques immersives qui seront le cinéma du futur et Cannes présente des films en réalité virtuelle, rien n’est figé.
C’est pour renvoyer le public dans une salle que vous avez lancé la comédie musicale ?
C’est l’une des raisons mais c’est aussi, parce que, malheureusement, les sujets qu’on traite sont toujours pertinents. Si le film s’appelle La Haine, le spectacle est plus basé sur l’amour, et pourtant, ça raconte exactement la même chose. La différence est que le choc que les gens ont ressenti en découvrant les quartiers et cette jeunesse-là, il y a trente ans, est passé. Ils connaissent ces sujets et les intègrent d’une autre manière. On ne pouvait, par exemple, pas faire la même fin sur le spectacle mais il fallait, malgré tout, attraper les spectateurs par l’émotion.
Comment votre film a-t-il résisté au temps ?
Peut-être parce que j’ai tourné en noir et blanc et parce qu’il est très réaliste. Il y avait un côté intemporel. Le seul truc qui aurait pu arrêter la temporalité, le côté « actualité du film », c’est s’il n’y avait plus eu d’actualité. S’il n’y avait plus eu de drames en banlieue, ni de bavures policières, on ne serait pas là. Des œuvres plus récentes auraient dû prend le relais. Ça me choque un peu que ce ne soit pas le cas. J’aime beaucoup Les Misérables de Ladj Ly mais il n’a pas pris la même place dans l’esprit des gens.
Pourquoi le sous-titre de la comédie musicale est-il « rien n’a changé » ?
Si on continue à être là parce qu’on a une bonne raison. C’est que le monde n’a pas changé. Il y a toujours un problème entre la police et les jeunes. Mais il y a un problème qui est plus grave, qui est un problème plus universel entre les Noirs et les Arabes et les Blancs. On va tout simplement dire qu’il y a un problème de racisme en France. En trente ans, on a passé une génération. Et les gens se retrouvent toujours dans La Haine.
Y a-t-il des choses positives dans tout cela ?
L’autre chose qui n’a pas changé, ce sont les quartiers, l’humour dans les quartiers. Sur ce point, on n’a rien changé sur le spectacle par rapport au film. Ça veut dire que l’humour est le même, les mecs sont les mêmes, l’amitié entre eux est la même, le besoin de respect est le même. C’est du positif.
Vous avez aussi trouvé du positif dans l’adaptation américaine du « Bureau des légendes » ?
C’est bien fichu mais trop américain. Ils sont trop beaux, trop propres comme des agents du FBI. Dans notre version, on avait les mains dans le cambouis. On prenait le métro et on bossait sur des ordinateurs pourris. C’était à cela que ressemblait vraiment le travail des agents. La version américaine est très hollywoodienne.