Programmée depuis des mois, la conférence de Florence Bergeaud-Blackler sur « le frérisme et ses réseaux » (1) ne pouvait pas rêver meilleur timing. Depuis mardi et les révélations du Figaro sur le rapport sur l’influence des Frères musulmans, tous les médias nationaux ne parlent en effet plus que de cette organisation islamiste. À la veille du Conseil de défense qui s’est réuni mercredi sur le sujet, Florence Bergeaud-Blackler, qui travaille sur ces questions depuis des années, nous a accordé une interview.
Êtes-vous surprise par les révélations du rapport sur les Frères musulmans qui a justifié la tenue d’un Conseil de défense ce mercredi matin?
Je ne suis pas surprise car ce rapport résulte d’une demande de l’Élysée d’avoir une vision exhaustive du problème du frérisme suite à la publication de mon livre Le Frérisme et ses réseaux en janvier 2023. La réaction avait été si vive que j’ai été depuis placée sous protection policière. Ce rapport dont je n’ai lu pour l’heure qu’une synthèse confirme tout ce que j’explique, éléments chiffrés et autres preuves à l’appui.
Vous allez même très loin puisque vous affirmez que les partis politiques sont infiltrés par les Frères musulmans.
Le rapport le confirme aussi: les partis politiques sont des cibles de l’entrisme frériste. Et en particulier la gauche radicale, notamment La France insoumise (LFI), qui partage avec le frérisme la volonté d’en découdre avec le système, une vision du monde internationaliste, et les méthodes d’influence par l’hégémonie culturelle et l’infiltration. Mais que les autres partis ne se croient pas à l’abri. Ce sont des cibles tout autant, car les Frères comptent sur le clientélisme et la corruption qui, hélas, existe dans tout le spectre politique. Et il existe aujourd’hui des communes où il est impossible de gagner sans le vote musulman.
Vous mettez en garde contre l’instauration d’un califat en Europe, objectif ultime des Frères. Le processus est-il engagé? Que faut-il faire pour contrer la stratégie des Frères musulmans?
Instaurer un califat, cela signifie imposer la loi islamique sur un territoire. Cela ne signifie pas qu’il faille convertir tous les individus, les remplacer comme on dit, mais ça veut dire qu’on rend la société, sa culture, ses lois, son économie, charia (la loi islamique, Ndlr) compatible. C’est le programme des Frères musulmans, leur plan. Cela ne signifie pas qu’ils vont y parvenir, mais seulement qu’ils sont en train de le réaliser. Libre à nous d’en prendre conscience ou non. C’est la première étape avant de trouver des solutions. Il faut réduire cette asymétrie de l’information: ils nous connaissent et se connaissent, nous nous connaissons mais nous ignorons leur présence. Nous sommes clairement désavantagés dans cette bataille. Dans L’Art de la guerre, Sun Tzu disait: « Connais ton ennemi et connais-toi toi-même et tu pourras livrer cent batailles sans jamais être en péril. » Il nous faut faire connaître cette idéologie, enseigner, former, et donc donner les armes intellectuelles à la population, aux professionnels, aux élus, aux décideurs pour que nous reprenions l’avantage. Cela va également nous obliger à savoir quelle société nous voulons.
Vous laissez entendre que les Frères musulmans seraient prêts à tout pour arriver à leur fin. Y compris soutenir des idéologies radicales pourtant à l’opposé de leurs idées.
Oui, exactement. Toutes les idéologies déconstructionnistes, voire mortifères leur sont utiles. Tout ce qui peut diviser la société, la disloquer, détruire l’unité et l’assimilation républicaine les aide. Ils les favorisent donc. On peut citer la chaîne AJ + financée par le Qatar qui fait la promotion du frérisme et du wokisme au nom de la convergence des minorités. Là encore je vais citer Sun Tzu qui disait en substance que le meilleur moyen de gagner consiste à briser la résistance de l’ennemi sans même combattre.
Vos propos font d’une certaine façon écho au « grand remplacement » brandi par les partis d’extrême droite. N’avez-vous pas peur d’être traitée de « facho »?
J’ai déjà été traitée de tout dans le but est de me discréditer. Cela n’a plus aucun effet sur moi car j’ai compris qu’il s’agissait simplement de m’empêcher de dire la vérité, une tactique bien connue. Pour revenir sur l’expression de « grand remplacement », je le répète: ce n’est pas la stratégie des Frères musulmans. Ils ne veulent pas remplacer, ils veulent influencer puis gouverner.
Vous êtes sous protection policière permanente pour vos travaux sur l’islamisme. Comment en est-on arrivé là en France? A-t-on fait preuve de trop de laxisme?
En effet, c’est bien le cas. Je dois vivre en permanence avec des policiers car ma vie est menacée. On en est arrivé là car, pendant plus d’un demi-siècle de présence des Frères musulmans, on n’a pas voulu voir, on n’a pas voulu prendre les Frères au sérieux. On a fait preuve d’arrogance et donc, pardonnez-moi, de bêtise. Ils ont été plus intelligents que nous et maintenant ils arrivent à influencer des gens très dangereux qui passent à l’acte quand eux ne se salissent pas les mains. On a parlé d’atmosphère parce qu’on ne savait pas comment ces réseaux fonctionnaient. Maintenant il faut arrêter avec les métaphores et regarder le frérisme en face. Chacun de là où nous sommes, nous pouvons agir contre sa progression. Le voilement des femmes, le halal généralisé, le « blasphème », les intimidations, les meurtres… Tout cela n’est pas normal. Nous devons avoir comme projet de les réduire a minima. Ce rapport peut nous y aider, il y aura un avant et après. Il faut saluer le ministre Retailleau d’avoir eu le courage de le déclassifier.
1. Organisée par la Fondation méditerranéenne d’études stratégiques, cette conférence aura lieu ce jeudi 22 mai, à partir de 18h30, à l’université de Toulon. Rens. https://fmes-france.org/