Pour Frédéric Batteux, directeur de l’Institut Pasteur de Lille, investir dans la recherche permettra d’attirer les chercheurs américains mais aussi et surtout d’assurer le futur, de la France mais aussi du monde.
Pour Frédéric Batteux, si les États-Unis mettent de côté la recherche, l’Europe doit prendre le relais. © Francois MARIN / Institut pasteur
Nommé en septembre 2024 directeur de l’Institut Pasteur de Lille, Frédéric Batteux est passé par les États-Unis où il a travaillé deux ans. Il explique les conséquences des politiques anti-recherche de l’administration Trump à court et long termes et pourquoi investir dans la recherche en France et en Europe est une nécessité.
Pourquoi cette interview ?
Lundi 5 mai, le président de la République française lançait depuis l’amphithéâtre de la Sorbonne l’initiative « Choose Europe for Science » qui a pour objectif, selon les mots du gouvernement, « d’inciter les chercheurs et les entrepreneurs publics et privés du monde entier à choisir l’Europe et la France pour exercer ».
Une initiative qui s’inscrit en réaction aux politiques de censure (interdiction d’utiliser certains mots) et de restrictions budgétaires drastiques annoncées et mises en place par le président des États-Unis Donald Trump dans le domaine de la recherche.Face aux annonces et mises en place des politiques de censures et de réduction des moyens pour la recherche aux États-Unis, quelles ont été vos premières pensées ?
J’ai pensé aux collègues États-Uniens. La recherche, c’est une grande famille internationale, une « équipe monde ». Quand des équipes avancent, je m’appuie sur elles pour faire avancer mes propres recherches. Ces politiques ont des effets sur la recherche dans son ensemble. Un chercheur doit être libre de faire les hypothèses de recherche qu’il veut car la recherche est par définition dans l’incertain. Brider la recherche c’est une négation de ce qu’est la recherche. Qui plus est, les politiques de monsieur Trump tirent aussi sur l’enseignement et ce qui m’inquiète ce sont les répercussions à long terme, on tire sur la recherche de demain. Or en recherche, quand on n’avance pas, on recule. De manière générale, je suis extrêmement triste de ce qui se passe aux États-Unis et je suis extrêmement triste pour nos collègues. J’ai le sentiment d’un énorme gâchis et de beaucoup d’injustice.
Pourquoi le fait que ce soit les États-Unis rend l’impact de ces politiques d’autant plus important ?
Au-delà des budgets alloués à la recherche qui étaient très importants, l’impact est énorme car les États-Unis c’était le pays de la liberté, de l’innovation. Je fais partie d’une génération où on allait aux États-Unis faire une partie de notre carrière car aucune porte n’y était fermée, on pouvait tout essayer et ce, grâce à une émulation scientifique importante qui reposait aussi sur le multiculturalisme.
C’est tout ça que ces politiques cassent et je ne peux pas le comprendre : pourquoi casser cette alchimie ? Les États-Unis avaient parié sur le multiculturalisme et aujourd’hui ce sont les chercheurs du monde entier qui vont avoir désormais du mal à y aller… C’est assez traumatisant et déstabilisant pour l’équipe monde de la recherche.
Quels impacts concrets ces mesures prises aux États-Unis ont-elles sur le monde ?
Il y a les effets de collaboration sur certains programmes qui risquent d’être ralentis, moins financés… Par exemple, à l’Institut Pasteur de Lille nous étudions la maladie d’Alzheimer et on se pose beaucoup de questions car nous répondons souvent à des appels d’offres des États-Unis…
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Un autre effet c’est sur le sanitaire car les États-Unis sont très impliqués dans la surveillance épidémiologique et tout ce qui concerne les vaccins. Or, on peut légitimement se demander ce qu’il va se passer dans ce domaine quand des personnes comme Robert Kennedy, antivaccin, est au ministère de la Santé… À l’Institut Pasteur, nous en sommes au stade de l’étude clinique pour un vaccin, et nous la réalisons aux États-Unis. Cette étude a été validée juste avant les coupes à la FDA (Food and drug administration, autorité responsable des essais cliniques, ndlr) mais que se serait-il passé si on avait fait la demande après ?
On peut aussi penser à la recherche sur le réchauffement climatique et donc sur la santé environnementale (car le réchauffement climatique et ses effets ont des répercussions sur la santé humaine, ndlr).
Enfin, un des risques c’est l’altération de la qualité des messages scientifiques car si on interdit des mots, des questions comment retranscrire correctement les études scientifiques ? Là, les médias ont un rôle à jouer.
On a pu entendre dans les médias certains de vos collègues indiquer que, s’il était positif de vouloir favoriser l’arrivée de chercheurs états-uniens (entre autres) via des investissements, cela fait longtemps que la recherche en France pointe du doigt le manque de moyens qu’elle rencontre.
Je ne suis pas forcément pour faire le procès du passé. En revanche, si on pense au présent, investir dans la recherche et notamment dans la recherche fondamentale, c’est assurer le futur. La recherche fondamentale consiste à étudier des « mécanismes » mais par exemple, dans le domaine de la santé, elle n’aboutit pas sur un vaccin, un médicament… En revanche, quand vous avez les mécanismes vous pouvez faire de la recherche appliquée ou translationnelle. Ce qui nous inquiète c’est que ces différentes étapes de la recherche ne soient pas bien « nourries » aux États-Unis.
J’encourage donc le gouvernement et l’Union européenne à choisir la recherche, à investir, pour la rendre attractive. On a toujours ouvert nos portes à tous, mais il faut accélérer pour la santé, le bien-être et le vivre ensemble de tous. Les chercheurs américains viendront mais aussi les autres. Il faut le penser comme une politique générale et non centrée sur les chercheurs américains. S’il y a des investissements massifs, on peut devenir les leaders de la recherche, prendre le relais des États-Unis.
Propos Recueillis par Églantine Puel