Par

Antoine Blanchet

Publié le

22 mai 2025 à 6h04

Costume sombre et maintien aristocratique, Daniel Chapellier, 76 ans, reste stoïque à la barre. Seul un vif mouvement d’épaules vient parfois trahir sa nervosité. L’ancien directeur de l’école catholique Saint-Jean-de-Passy à Paris est jugé ce mercredi 21 mai 2025 à Nanterre pour une agression sexuelle commise sur un élève âgé de 14 ans à l’époque des faits, en février 2021. Il nie en bloc. Faute de temps pour terminer l’audience, le tribunal a mis l’affaire en continuation pour le 6 juin prochain.

Le directeur autoritaire et l’adolescent en difficulté

Les deux paroles qui s’affrontent dans le prétoire sont aux antipodes l’une de l’autre. La première est celle d’un « éducateur » chevronné, qui a enseigné pendant plus de 50 ans au sein de multiples établissements catholiques à travers la France, dont la prestigieuse école Stanislas. Cette parole a tonné sur des générations d’élèves pour un col mal mis ou une coiffure trop longue. La seconde est celle d’un jeune  adolescent décrit comme dissipé dans le monde rigide de Saint-Jean-de-Passy. La première clame, martèle et dément. La seconde est absente et représentée par celle de ses parents.

« N’en parle à personne »

Damien*, 14 ans, pousse la porte de la brigade de protection des mineurs de Paris le 5 février 2021. L’adolescent détaille avoir eu trois jours auparavant, un entretien avec le directeur de son école dans son bureau lors de la récréation. L’échange disciplinaire d’une quinzaine de minutes aurait basculé. Daniel Chapellier, après des mises en garde d’ordre scolaires et quelques échanges badins sur le sud de la France, aurait demandé au garçon s’il consultait des sites pornographiques.

L’étrange question fait place à des actes terrifiants. Daniel Chapellier, déclarant être en érection, aurait ordonné à Damien de lui toucher le sexe, puis lui aurait sollicité une fellation (ces derniers mots n’ont pas été clairement entendus par la victime, ndlr). Le directeur aurait ensuite touché les parties intimes de l’adolescent. « N’en parle à personne, aurait lancé le chef d’établissement à l’élève.

Le soir même, la jeune victime parle de l’affaire à ses parents. « Il était pâle comme un linge. Il a passé sa tête par la porte de notre chambre et nous a dit « Si je parle, je suis foutu. Si j’en parle pas, ça ne va pas aller. Dans tous les cas, il a gagné « », relate à la barre la mère de la jeune victime. 

Une « folie » de l’élève, selon le prévenu

Après une garde à vue, une mise en examen et un renvoi le tribunal correctionnel, l’ancien directeur, au faux-air de Jacques François, n’a pas perdu de son timbre autoritaire. Sa longue expérience fait office de bouclier face aux flèches tirées par les parties civiles et l’accusation. « En 52 ans d’expérience, je n’ai jamais touché un élève. J’en ai convoqué des milliers dans mon bureau et s’il ne s’est jamais rien passé », clame-t-il à plusieurs reprises.

La version du prévenu correspond à celle de l’adolescent jusqu’au moment de l’évocation des sites X. « Je lui ai demandé s’il allait sur son téléphone. Puis s’il allait sur des sites pornographiques », se remémore avec précision le chef d’établissement.

« Mais pourquoi cet enchainement de questions ? Je suis peut-être candide, mais les jeunes font d’autres choses avec leurs téléphones », demande la juge.

Daniel Chapellier répond avec conviction que les sites X sont le principal écueil sur lequel s’échouent les élèves désœuvrés. « 80 % des jeunes de 14 ans ont déjà visionné du contenu pornographique », assure l’éducateur, sans pouvoir sourcer ses chiffres.

À cette interrogation, tout aurait basculé.  « Rien que d’en parler je suis en érection », aurait répondu Damien au chef d’établissement médusé. Le jeune homme aurait alors sorti son sexe. « Il m’a demandé si j’étais en érection et s’il voulait que le suce. C’était de la folie », lâche le prévenu du même ton guindé. En état de sidération, le chef d’établissement aurait renvoyé l’élève en classe.

Cette réaction fait bondir la présidente : «  Et vous en restez là ? Vous êtes un directeur expérimenté à la réputation plutôt solide, voire rigide, et vous laissez repartir l’élève ? ». La magistrate vient percer le bouclier du prévenu qui bafouille.

« Mon seul regret, c’est de ne pas avoir alerté tout de suite les personnes concernées », déclare-t-il.

Car là-aussi, chose étrange, le lendemain des faits, le directeur envoie un simple mail aux parents de Damien, dans lequel il s’étonne de ne pas avoir vu l’élève à l’école.

Des vies mises à nu

Dans cette affaire où les deux parties du prétoire affirment détenir la vérité, les vies des deux parties sont mises à nu pour faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre. Pour Damien, c’est une longue dissection de sa scolarité. Chemise mal rentrée dans son pantalon. Devoirs non rendus. Départ de l’école à la fin de l’année. L’élève était en sursis. Pour Daniel Chapellier, les accusations de la victime seraient une vengeance. « Il a dit à des élèves qu’il allait m’avoir », dénonce le directeur. 

Les vies sexuelles du prévenu et de la victime sont aussi passées aux rayons X judiciaires. Côté Daniel Chapellier, de nombreuses vidéos et images à caractère pornographique et homosexuel sont découvertes sur son ordinateur. Trouvaille surprenante chez cet homme qui s’était opposé au mariage pour tous en 2012

Le ressenti de certains anciens élèves sème aussi le trouble au sein du tribunal. Plusieurs écoliers évoquent avec malaise les questionnements du directeur sur leurs pratiques de la masturbation. Devant le tribunal, l’ancien directeur se pose en chevalier de la vertu, parti en croisade contre l’onanisme. « C’est aux parents de contrôler leurs enfants, mais ils sont naïfs ! »‘martèle-t-il. Dans sa conviction, ce masturber, c’est s’égarer. 

« Mais vous êtes médecin ? Et les jeunes femmes, vous leur en parliez de ça ? », réagit la présidente. 

« Ça m’aurait mis mal à l’aise de parler de ça à des filles », balbutie l’intéressé. 

Un bloc de témoins à décharge

Pour illustrer son parcours irréprochable au sein des établissements catholiques, Daniel Chapellier a sorti l’artillerie lourde. Famille, collègues, anciens élèves… Ils sont 12 convoqués à venir témoigner des bienfaits de l’éducation stricte théorisée par le prévenu. Pourtant, l’aiguille de l’horloge a déjà trop tourné. Devant une horde de costumes cintrés et de tailleurs immaculés, la présidente explique d’un air désolé que la succession d’éloges est remise à plus tard.

L’audience reprendra le 6 juin prochain. 

*Le prénom a été modifié

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