Récupérer le ballon de basket d’une main, viser le panier, marquer. Après avoir réparti en binôme ses élèves, Assia Verhoeven, 25 ans, distille ses conseils. Dans un gymnase d’Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne) mi-avril, la coach a axé sa séance sur la défense collective de son équipe, une dizaine de filles de 13 et 14 ans. En entraînement, son voile ne pose aucun problème, mais lors des matchs, c’est une tout autre histoire.
Car la Fédération française de basket-ball (FFBB) a durci ses règles depuis trois ans en interdisant le port de couvre-chef dans les compétitions. Une proposition de loi, adoptée par le Sénat en février, reprend ce principe et vise à interdire le port de signes manifestant ostensiblement une appartenance politique ou religieuse lors des compétitions au nom « du respect du principe de laïcité dans le sport ». Elle sera mise à l’ordre du jour à l’Assemblée nationale, a confirmé en avril le Premier ministre. Et sur TF1 le 13 mai, Emmanuel Macron s’est aussi prononcé contre le port du voile dans les compétitions sportives.
Un couvre-chef considéré comme « inapproprié au jeu »
Assia Verhoeven, qui entraîne depuis 2019 et s’est mise à porter le foulard deux ans plus tard, ne se souvient pas avoir fait l’objet de remarques avant 2022. Une première note du règlement de la FFBB précise alors que les accessoires couvrant la tête sont interdits, considérés comme « inappropriés au jeu ». Une position inverse à celle de la Fédération internationale de basket-ball (FIBA), qui autorise le port de couvre-chef.
Fin 2022, la FFBB ajoute un article, le 9.3, dans ses règlements sportifs généraux. Celui-ci interdit « le port d’équipement à connotation religieuse ou politique » lors de toutes les compétitions en 5×5 et 3×3. Ce qui s’applique aux joueuses, aux entraîneurs, aux arbitres et aux officiels lors des rencontres sportives. Le cas échéant, les arbitres ne doivent pas les faire participer à la rencontre.
Convoquée en commission disciplinaire
En application du nouveau règlement, des arbitres ont interdit à Assia Verhoeven de participer aux compétitions en tant que joueuse. En novembre 2023, rappelée à l’ordre avant le début d’une rencontre qu’elle devait entraîner, elle a caché le fait qu’elle portait un voile, en se couvrant d’une capuche.
Elle a alors été convoquée en commission disciplinaire pour avoir tenté de dissimuler son couvre-chef sous une capuche, et avoir tenu avant le match, « de manière virulente des propos insultants » contre l’arbitre l’ayant sanctionnée, selon la convocation et le compte rendu de la décision que nous avons pu consulter. Insultes pour lesquelles elle a été suspendue trois mois ferme.
Pour elle, se couvrir d’une capuche respectait la laïcité et ne donnait pas « de connotation » à ce qu’elle portait : « On m’a dit [en commission] : « Ecoutez, madame, il faut qu’on voie vos cheveux ». » Mais puisqu’elle n’avait pas coaché et s’était installée en tribune, il n’a pas été considéré par la commission qu’elle avait violé l’article 9.3.
Un texte de loi qui « restreindrait les opportunités »
Dans une tribune en février, Amnesty International France et le collectif Basket pour toutes ont alerté sur les dangers de la proposition de loi sénatoriale. Celle-ci étend l’interdiction « discriminatoire » du couvre-chef à toutes les fédérations sportives et porte « une atteinte grave à la liberté de conscience », affirment-ils.
Les signataires dénoncent un texte de loi qui constituerait un frein pour des femmes, serait source d’humiliation pour les sportives exclues ou obligées d’enlever publiquement leur voile. Il porterait « atteinte à la pérennité des clubs dont l’activité bénévole repose en partie sur l’implication de femmes qui portent le voile » et « restreindrait les opportunités de voir des talents français s’épanouir sereinement ». En basket, c’est ce dont témoigne Assia.
En match, elle coache depuis les gradins
Comment faire entendre des consignes à son équipe si une coach voilée n’a pas le droit d’être sur le terrain ? Assia Verhoeven a dû trouver des stratégies pour s’adapter au règlement, menant à des situations qui confinent à l’absurde. Lors des matchs, elle se place dans les gradins avec le public et donne ses conseils depuis cette place. « J’ai une voix qui porte », fait-elle valoir, expliquant que « ce qui est dit dans les tribunes ne peut pas être régulé », sauf en cas d’insultes.
Elle a aussi commencé à former deux entraîneurs assistants. Pour connaître l’équipe et adopter sa ligne de conduite, ils participent aux séances qu’elle prépare et, le jour du match, prennent le rôle de coach titulaire. « Sur des matchs plus compliqués, avec des gens plus durs sur le règlement, on a déjà travaillé avec des oreillettes », raconte-t-elle.
« On essayait tout le temps de me censurer »
Dans le gymnase d’Ivry-sur-Seine, Amayace accompagne Assia ce jour-là. Devenu son assistant courant 2024, il se désole que le travail d’Assia soit invisibilisé lors des compétitions à cause du règlement de la FFBB. « En match, on me demande si je suis le coach, ça me frustre parce qu’elle existe, c’est son équipe avant tout, regrette-t-il. Je ne veux pas m’approprier son travail. Je le rappelle toujours. »
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Après son passage en commission, la coach témoigne de « discriminations » plus poussées et le sentiment « d’être dans le viseur ». Un exemple l’a marquée : un responsable du comité lui aurait demandé de se rasseoir et de se taire après qu’elle a fait une remarque aux joueuses depuis les tribunes lors d’un match mi-mai 2024. Devant son refus, il aurait menacé de la sortir du gymnase, l’aurait bousculée, imposé de s’asseoir et interrompu la rencontre, ce qu’a confirmé Amayace, coach titulaire. Contacté, ce responsable n’a pas réagi pour l’heure.
Lors de ce même match, l’équipe aurait aussi été empêchée de fêter sa victoire sur le terrain pour ne pas qu’Assia y accède voilée… « On essayait tout le temps de me censurer, on me disait des choses qu’on ne dit jamais aux gens, surtout au niveau amateur, se souvient Assia. Des règles qui n’existent pas fusaient d’un coup. »
« Une volonté d’appliquer les règlements »
Elle explique ne pas avoir déposé une réclamation de crainte d’être davantage « prise en grippe ». Sans signalement ou rapport, la FFBB indique ne pas pouvoir apprécier ce cas, mais estime qu’il y a eu « davantage une volonté d’appliquer des règlements mis en place par les instances que de stigmatiser les personnes ».
Malgré les obstacles, Assia Verhoeven reste déterminée à entraîner. En 2020, elle avait arrêté ses études et décidé d’en faire son métier, jusqu’à ce qu’en 2022, elle se retrouve « confrontée à un mur » et doive changer de carrière. « Ce qui est dommage, c’est que je vais rester cantonnée au niveau amateur parce que je ne peux pas aller plus loin, déplore-t-elle. A la base, je visais plus haut. » Une ambition stoppée nette.