Quinze mois de travail auront été nécessaires pour accoucher de « Ma pharmacie en France », un portail numérique unifié destiné à doter les pharmaciens d’un outil de services interconnectés afin de garantir la souveraineté numérique de la profession.
Lancée officiellement ce 22 mai à Paris et porté par Alain Grollaud, président de Federgy, « Ma pharmacie en France » est le fruit d’une collaboration inédite entre les syndicats USPO (Union des syndicats de pharmaciens d’officine), FSPF (Fédération des syndicats pharmaceutiques de France), UDGO (Union des groupements de pharmaciens d’officine), des partenaires technologiques et La Poste via son pôle Santé & Autonomie. L’initiative fédère déjà près de 15 000 officines.
« Ce que nous avons construit, ce n’est pas une plateforme d’intermédiation, c’est un portail de services, piloté par la profession, pensé par et pour les pharmaciens, avec une gouvernance collégiale et un cap stratégique partagé », défend Alain Grollaud, président de Fédergy et à l’initiative de ce projet.
Quatre briques opérationnelles dès l’automne 2025
Le portail, qui entrera en phase de déploiement en octobre 2025, proposera dès sa première version quatre modules fonctionnels, interopérés avec les LGO (logiciels de gestion officinale) :
– la livraison sécurisée post-dispensation : les médicaments seront remis au domicile du patient ou à son aidant, uniquement après dispensation dans le cadre légal. La logistique sera assurée par les facteurs de La Poste, formés au contrôle d’identité. « On fait de la livraison, pas de la vente en ligne. C’est un prolongement du conseil pharmaceutique, pas une substitution », insiste Alain Grollaud.
– un téléservice de dispensation : en cas d’impossibilité de contact physique, le pharmacien pourra utiliser un module de visio ou de messagerie HDS (hébergement de données de santé). Ce service permet d’engager l’acte officinal à distance, de manière tracée, conforme et sécurisée. « 30 % des patients qui entrent dans une pharmacie le font à travers un aidant. Il était indispensable de concevoir une solution adaptée à cette réalité », souligne Pierre-Olivier Variot, président de l’USPO.
– un agenda de rendez-vous officinaux : intégré aux outils métier, il facilitera l’organisation des vaccinations, bilans partagés de médication, entretiens pharmaceutiques ou des actions de prévention.
– un outil de communication : l’application Ma pharmacie en France permettra aussi de communiquer sur les différentes missions et services offerts à l’officine auprès des patients.
Lignes rouges et cadre déontologique
Pour se démarquer des modèles marchands, les promoteurs ont formalisé une série de « lignes rouges », inscrites dans les statuts de la société :
– respect du libre choix de la pharmacie par le patient, sans algorithmes de tri ni tri automatisé par les stocks ;
– aucune logique de stock déporté ou mutualisé hors cadre réglementaire ;
– refus du référencement par produit : le patient entre dans le portail via sa pharmacie, pas via une recherche par molécule ;
– obligation de présentation d’une ordonnance originale ou d’une e-prescription (prescription électronique sécurisée), avec la carte Vitale physique ou son application officielle ;
– propriété exclusive des données par le pharmacien, conformément à la doctrine du numérique en santé du ministère ;
– aucune décision majeure sans validation du comité stratégique composé des syndicats et groupements.
Une architecture évolutive dès 2026
Dès 2026, plusieurs briques complémentaires sont attendues :
– une interface avec l’hôpital, via la solution CareSite, pour organiser la sortie d’hospitalisation en lien avec l’officine choisie par le patient ;
– des parcours spécifiques pour les aidants familiaux et les patients en perte d’autonomie ;
– l’intégration d’outils d’intelligence artificielle, notamment pour la détection d’interactions, la vérification des ordonnances via un système plus opérationnel que ne l’est Asafo aujourd’hui ;
– un module de gestion des manquants, distinct de l’outil 2025 de coordination locale. Cette nouvelle brique permettra d’identifier des disponibilités territoriales en cas de pénurie sévère (antibiotiques, vaccins…) et de déclencher un dépannage à l’échelle interrégionale. « Aujourd’hui, on a vu des patients faire le tour de Paris pour trouver un antibiotique. Cette brique permettra d’identifier les stocks disponibles ailleurs et de faire remonter les produits sans déplacer le patient », a expliqué Alain Grollaud. Le produit reste accessible via l’officine d’origine, grâce à un circuit interprofessionnel sécurisé. Cette approche mutualisée s’appuie sur des schémas logistiques éprouvés et place la coordination entre pharmaciens au cœur de la réponse aux ruptures.
« Un outil éthique au service de la proximité »
En s’engageant comme partenaire opérationnel, La Poste affirme son ancrage dans les politiques de santé publique. « Nous croyons à un numérique éthique, inclusif et respectueux des territoires. Ce portail n’est pas un produit commercial. C’est une infrastructure d’intérêt général, au service de la santé publique et de la proximité », déclare Dominique Pon, directeur du pôle Santé & Autonomie de la Poste.
Une dynamique collective à confirmer
L’abonnement est fixé à 50 euros par mois, avec un seuil de rentabilité fixé entre 3 000 et 4 000 officines. Les syndicats et groupements se sont engagés à soutenir massivement l’adhésion. « Ce portail doit devenir un réflexe. Ce n’est pas un outil de plus, c’est une infrastructure pour l’avenir », affirme Alain Grollaud.
Un rempart stratégique face aux logiques de plateforme
Face à l’essor des ventes en ligne, « Ma pharmacie en France » se présente comme un rempart souverain, structuré et stratégique. « Cet outil permettra de couper l’herbe sous le pied de ceux qui voulaient faire du commerce, pas de la pharmacie », ajoute Pierre-Olivier Variot.« Nous faisons le pari d’un numérique au service de la relation officinale. Ce n’est pas un outil commercial, c’est un outil de santé publique », conclut Alain Grollaud.