Devant la complexité juridique du dossier, la cour d’appel administrative de Marseille a décidé de faire montre de prudence, s’octroyant un délai de réflexion supplémentaire. L’affaire sera ainsi réexaminée par une formation élargie de la juridiction en juillet prochain.

C’est un rebondissement majeur dans une affaire qui, depuis des mois, alimente les polémiques sur la commande publique, l’art et la mémoire nationale. La cour administrative d’appel de Marseille, qui devait rendre sa décision ce mardi 21 mai sur le sort de la monumentale statue de Jeanne d’Arc érigée à l’entrée du parking du même nom, dans le quartier Borriglione à Nice (Alpes-Maritimes), a finalement choisi, chose exceptionnelle, de renvoyer l’affaire devant une formation élargie de la juridiction en juillet prochain.

Derrière cette décision, c’est la portée juridique inexplorée du dossier qui est en cause. «Le point juridique principal que la Cour doit trancher est inédit. C’est la première fois que vont être appliquées les nouvelles dispositions du Code de la commande publique (R. 2122-3)», explique Me Carine Chaix, avocate de l’atelier Missor, sculpteur de l’œuvre. Ces dispositions autorisent, sous conditions, de ne pas recourir à une mise en concurrence pour une commande d’œuvre d’art «à créer ou déjà existante», non pas pour des motifs techniques, mais pour tenir compte de la spécificité de l’art.

Un univers esthétique singulier

Or, c’est précisément cette exception artistique que la justice doit examiner. «On ne commande pas une œuvre d’art comme on achète un lot de fournitures, insiste Me Chaix. Une œuvre d’art est indissociable de son auteur. La Régie n’a pas commandé une statue de Jeanne d’Arc. Elle a commandé une Jeanne d’Arc de l’atelier Missor, qui a une identité d’artiste et une signature artistique bien spécifiques.» Le collectif Missor, spécialisé dans la représentation de figures historiques françaises, revendique un univers esthétique singulier. La commande de cette sculpture de bronze doré à l’or fin de cinq mètres de haut, installée l’an passé pour un montant de 170.000 euros hors taxes, avait été attribuée sans appel d’offres par la Régie métropolitaine Parcs d’Azur. Ce choix a conduit le préfet des Alpes-Maritimes d’alors, Hugues Moutouh, à saisir le tribunal administratif de Nice, qui a annulé le marché le 14 janvier dernier, ordonnant le remboursement de la somme versée et le retrait de la statue.

Les jalons d’une jurisprudence

L’affaire a depuis pris une ampleur politique. Le maire de Nice, Christian Estrosi, a dénoncé une «croisade contre Jeanne d’Arc», attaquant frontalement à plusieurs reprises le représentant de l’État dans le département, appelé depuis au secrétariat général du ministère de l’Intérieur. L’opposition municipale – en particulier les écologistes – s’interroge quant à elle sur les priorités budgétaires et les symboles mis en avant. Une enquête préliminaire pour favoritisme est en cours, et a déjà conduit à des perquisitions dans les locaux de la régie. Face à l’annulation du marché, l’atelier Missor a alerté sur les conséquences «dramatiques» pour sa survie, et reçu le soutien de nombreuses personnalités locales. Une cagnotte en ligne a récolté plus de 30.000 euros. Son avocate rappelle que «la cour d’appel a consacré près de deux heures à l’audience, ce qui est très rare pour une juridiction administrative, et témoigne de l’importance de l’enjeu».

Le renvoi en formation élargie ne fixe, du reste, pas encore l’avenir de la statue ni celui de l’atelier Missor. Mais il offre un répit, mais aussi une opportunité : celle de poser, peut-être pour la première fois, les jalons d’une jurisprudence autour de la place de l’art dans la commande publique, et du statut de l’artiste dans l’espace républicain. En attendant, la Pucelle d’Orléans azuréenne demeure, stoïque et étincelante, sur son socle bétonné de la Baie des Anges.