C’est un spectacle spécifiquement adapté à la scène mentonnaise que Muriel Mayette-Holtz, la directrice du Théâtre national de Nice et metteuse en scène des Fourberies de Scapin, a proposé au public du théâtre Francis-Palmero vendredi. Sa version très contemporaine de la pièce de Molière a attiré un grand nombre de spectateurs le soir, après une séance fort intéressante, réservée aux scolaires de Menton, l’après-midi dans une salle comble.
Un moment extraordinaire, où le burlesque a côtoyé le travail magistral des comédiens, avec un large spectre d’élèves, du CM2 aux terminales! Le jeune public a beaucoup réagi pendant le spectacle et sans surprise, les questions ont fusé après la représentation, quels que soient leurs âges, lors de la rencontre avec l’équipe artistique. « C’était fascinant et jubilatoire de voir combien cette représentation a rendu Molière très contemporain et finalement proche du jeune public », s’enthousiasme Pascale Just, chargée de la Saison culturelle de Menton. Le but recherché ? Car ce Scapin, incarné par un acteur aussi charismatique qu’une rock star, a réellement pris vie sur scène avec les autres personnages grâce au jeu et au talent des comédiens…
Le décor remodelé la veille du spectacle
C’est aussi un travail très précis de Muriel Mayette-Holtz qu’il faut souligner, car sa mise en scène a permis de restituer toute la faconde des personnages de Molière, dans une scénographie quelque peu modifiée lors de la répétition pour s’adapter à l’espace contraint du théâtre mentonnais. « On a enlevé une grosse partie du décor initial de la pièce, car on n’arrivait pas à le faire rentrer! », s’amuse à dire Muriel Mayette-Holtz, pendant la pause, entre deux répétitions, le jeudi soir.
Il faut dire qu’entre la voiture, (une vieille deux chevaux), l’éolienne, la pompe à essence avec des épaves à proximité, sur fond de station-service désaffectée, telle qu’on les trouvait dans les périphéries des villes et le tout dans une ambiance « Bagdad Café » et Route 66, ça faisait très imposant!… Sans parler du transfert jusqu’au premier étage du palais! « Ici à Menton, on a gardé la deux chevaux, car elle remplace le sac, et quelques accessoires, un fauteuil, un vélo, des pneus, une caisse… » précise la metteuse en scène, très heureuse de jouer dans la cité du citron.
« Finalement, quand un spectacle est bien construit, on peut revisiter la pièce dans n’importe quel espace. C’est ce qu’on a fait ici dans ce théâtre mentonnais… On a joué récemment Phèdre dans les arènes de Cimiez, un milieu largement ouvert, et bientôt, on va le faire dans un intérieur extrêmement contraint, avec des rideaux et des sols rouges.. » ajoute Muriel Mayette-Holtz, qui n’est pas avare d’explications sur sa manière d’aborder avec exigence la scénographie dans son travail de mise en scène, où tout est propice à déclencher l’imaginaire.
Ainsi, la capacité de s’adapter à l’espace visuel passe aussi par le jeu des comédiens, sans cesse confrontés à de nouveaux défis. Et à Menton, un prologue a été ajouté pour faire imaginer à la salle que le décor originel était bel et bien sous ses yeux!
Des excès humains encore d’actualité
En entrant sur scène avec des lunettes augmentées, l’un des comédiens invitait les spectateurs à « voir la pièce de Molière en virtuel »… « Regardez, il y a une éolienne, une pompe à essence… Prenez les lunettes sous votre siège et vous découvrirez tout cela… » dit-il. La suite, on s’en doute… Rien sous les sièges. Premières réactions de rires du public, premier subterfuge réussi, qui annonce la couleur de ce Scapin vivace et plein d’éclat, ayant plus d’un tour dans son sac!
« Dans ce projet culturel, j’ai voulu mettre en valeur plusieurs excès dans nos actions, que Molière raillait déjà, et d’ailleurs le Misanthrope, le Tarfuffe, le Don Juan sont des mots du dictionnaire. Il y a le choc des générations entre les pères, qui travaillent et les fils qui ne font rien… Je voulais aussi montrer la violence des personnages, sur fond d’errance, à l’image de Scapin et Sylvestre qui tapent sur un sac (où se trouve Géronte) dans la pièce initiale… J’ai remplacé le sac par le coffre de la 2 CV pour susciter la peur et le rire! Aujourd’hui, être enfermé dans le coffre d’une voiture peut faire peur, mais ça fait sourire aussi… il n’y a qu’à regarder sur les réseaux sociaux! » Des éléments qui font passer la pièce dans la dimension de l’intemporalité.
« Certes, je n’ai rien changé dans le texte originel, mais j’ai de temps en temps adapté des improvisations en me demandant ce que ferait Molière avec des mots contemporains. Il nous moque encore aujourd’hui dans notre chair… » Ses archétypes restent d’actualité. Tout est transmis.
Prochain et dernier spectacle de la Saison culturelle: Le Cercle des poètes disparus, d’Olivier Soliveres avec Stéphane Freiss et Ethan Oliel (le 3 juin à 20h).