Débuts remarqués sur la Croisette pour Prïncia Car, dont son premier long métrage Les Filles désir aborde avec tact la masculinité, la sororité, l’esprit de bande et la notion de désir. Le résultat authentique et à l’écart des poncifs séduit et percute et pourrait bien la placer dans la short list des prétendants à la Caméra d’Or, prix qui récompense le premier long-métrage.
Situer votre premier long-métrage à Marseille, une évidence ?
Marseille, c’est ma ville, et le film est né d’une collaboration avec un groupe de jeunes Marseillais rencontrés il y a huit ans lors d’un atelier d’écriture. On a créé ensemble, de manière très participative, d’abord des courts-métrages, puis ce long-métrage. Le film est ancré dans la cité phocéenne, notamment dans les quartiers Nord, car il reflète leurs vies et nos questionnements sur la place des femmes, le désir ou la force d’un groupe. Contrairement à l’image grise des banlieues, j’ai voulu retranscrire la joie et les couleurs que j’ai vécues avec eux.
Vous aviez fondé une école de cinéma. Les jeunes du film en sont issus ?
Tout a commencé avec une association qui m’a proposé de réaliser un film avec ces jeunes. On a tellement aimé qu’on a créé une école de cinéma alternative, avec des cours du soir ouverts à tous, sans contrainte formelle. Les jeunes du film, première promotion de cette école, forment un noyau dur qui m’a suivi dans tous mes projets.
De quelle manière vous est venue l’idée d’explorer la notion de désir ?
En tant que femme dans un groupe majoritairement masculin, j’ai observé des dynamiques complexes. Un groupe, c’est une force, mais aussi un carcan, avec des codes qui enferment. J’ai voulu déconstruire ces mécanismes, comme la peur de paraître faible en acceptant certaines choses. Avec les jeunes, on a exploré ces questions, notamment à travers une fille au passé lié à la prostitution, pour comprendre ces réactions et ces rejets.
On sent un flou générationnel dans le film, entre amour, désir et virilité. D’où vient-il ?
C’est un héritage patriarcal. La virilité, comme le disait Bourdieu, est un privilège et un piège. Dans un groupe, exprimer ses émotions, c’est risquer d’être associé à la féminité, ce qui est mal vu. Le personnage d’Omar, chef de bande, est tiraillé : il aide les autres mais ne s’écoute pas, car il doit toujours être fort. Ce flou est exacerbé dans des milieux marqués par une certaine violence, où la faiblesse peut être dangereuse.
Les cadres sociaux, comme le mariage ou les origines, semblent aussi peser. Votre regard là-dessus ?
Le film montre des cadres imposés – comme se marier dans sa communauté ou suivre des normes religieuses – qui dictent les désirs, même chez les jeunes. Ces injonctions persistent, malgré les révolutions féministes ou les réseaux sociaux. Le film ne pointe pas un milieu précis, mais ces cadres universels dont on peine à se libérer.
Votre film est lumineux, presque romanesque, loin du naturalisme. D’où vient cette approche ?
Ces jeunes sont lumineux dans la vie, malgré leurs défis, avec un humour et une légèreté incroyables. Je voulais rendre cela. Mon passé dans le théâtre, avec la troupe colorée de mes parents (L’Agence de Voyage imaginaire de Philippe Car et Valérie Bournet, NDLR), m’a aussi influencée. J’aime jouer avec les outils du cinéma pour créer du romanesque, en étant ici inspirée par Jacques Demy. Les décors et costumes colorés protègent les jeunes et permettent de s’amuser avec la fiction.