Survivante du siège de Léningrad, Lioudmila Vassilieva, 84 ans, a été condamnée vendredi à une amende par un tribunal russe pour avoir publiquement brandi une pancarte réclamant « la paix », en pleine offensive russe en Ukraine.
« J’ai extrêmement mal pour mon pays », avait, avant son jugement, dit cette femme qui a quatre petits-enfants, dans son appartement de Saint-Pétersbourg.
Portant un cardigan bordeaux et soigneusement maquillée, Lioudmila Vassilieva, cheveux courts et gris, avait alors montré l’objet du délit : une pancarte avec un texte écrit à la main, qui lui a valu d’être jugée pour avoir « discrédité » l’armée, comme des milliers d’autres depuis le début de l’assaut russe en Ukraine en 2022.
Il y est écrit : « A tous. Arrêtons la guerre ! Nous sommes responsables de la paix sur Terre ! ».
Le tout signé : « Avec amour, Lioudmila, enfant de Léningrad assiégée », dans une référence compréhensible par tous les Russes au terrible siège, qui a duré du 8 septembre 1941 au 27 janvier 1944, par l’armée allemande de Léningrad (le nom de Saint-Pétersbourg à l’époque soviétique).
Lioudmila Vassilieva a brandi sa pancarte en mars dernier dans le centre de la deuxième ville de Russie.
– Coupable d’avoir « discrédité » l’armée –
Vendredi, le tribunal Kouïbychevski de Saint-Pétersbourg l’a reconnue coupable et l’a condamnée à une amende de 10.000 roubles (110 euros).
Amnesty International, une ONG que la Russie a interdite lundi, estimait en 2023 que le délit de « discrédit » de l’armée était « utilisé pour criminaliser l’expression de toute opinion critique de l’invasion » de l’Ukraine.
Le procès de Lioudmila s’est à cet égard inscrit dans un contexte de répression des voix dissidentes en Russie, dont l’offensive en Ukraine a fait au moins des dizaines de milliers de morts et de blessés, civils comme militaires, des deux côtés.
Les arrestations pour « espionnage », « trahison », « sabotage », « extrémisme » ou pour des critiques de l’armée se sont multipliées ces trois dernières années.
La justice russe a notamment condamné en novembre dernier à cinq ans et demi de prison ferme une pédiatre de 65 ans à Moscou. Elle était accusée par la mère d’un de ses patients d’avoir critiqué l’assaut russe en Ukraine au cours d’une consultation.
Lioudmila Vassilieva a, quant à elle, plaidé la « non-indifférence » pour expliquer son geste. « J’ai toujours été une personne qui n’est pas indifférente. J’ai toujours été du côté des faibles », a-t-elle expliqué.
– « Laissez les gens vivre ! » –
Dans son clair et grand appartement de Saint-Pétersbourg, deux élégants chats batifolent au milieu des livres. Il y a aussi le portrait de sa mère, qui a survécu au siège de Léningrad avec cinq enfants sur les bras, dont la petite Lioudmila.
« Maman disait toujours : +nous pouvons tout supporter, pourvu qu’il n’y ait pas la guerre+ », a-t-elle raconté à l’AFP, se remémorant cet épisode tragique de la Deuxième Guerre mondiale, resté un symbole de la résistance face à l’Allemagne nazie, au cours duquel entre 600.000 et 1,5 million de personnes sont mortes, de faim pour la plupart.
« Il arrivait à maman de donner son sang pour obtenir une ration supplémentaire ».
Après la Deuxième Guerre mondiale, « on parlait tout le temps de la paix. Rappelez-vous du passé pour que cela (la guerre, ndlr) ne se reproduise jamais ».
« Mais aujourd’hui, de quoi parle-t-on ? », s’interroge Lioudmila, émue, faisant allusion au discours aux accents belliqueux du pouvoir et des médias russes.
Pour cette femme, qui était ingénieure à l’époque de l’URSS, la Perestroïka (Restructuration) et les réformes mises en oeuvre par Mikhaïl Gorbatchev dans les années 1980 ont constitué une « fenêtre vers la liberté ».
Membre du parti libéral « Choix démocratique » dans les années 1990, elle déclare baigner dans les idéaux démocratiques depuis toujours et avoir « participé à tous les rassemblements d’opposition » depuis l’arrivée de Vladimir Poutine au pouvoir en 2000.
Son credo est : « Laissez les gens vivre et choisir par eux-mêmes ce qu’ils veulent ! ».
Et l’appel à la « paix » lancé en plein centre de Saint-Pétersbourg était non pas adressé aux autorités russes mais à « tous les gens », car ce sont eux « qui peuvent avoir de l’influence et arrêter » le conflit, explique Lioudmila.
« Quant à moi, j’ai déjà 84 ans. Je n’ai pas peur ».
publié le 23 mai à 15h24, AFP
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