Par
Yann Rivallan
Publié le
23 mai 2025 à 19h20
« Ma chéri, tu ne me connais pas mais moi je te connais… J’ai envie de te voir. » C’est, en substance, ce qu’ont pu entendre au téléphone de nombreuses femmes d’un parfait inconnu caché derrière un numéro masqué. « Il connaissait mon nom, mon adresse et mon numéro de téléphone », se désole une des victimes dans un dépôt de plainte.
Face au tribunal de Rouen, jeudi 22 mai 2025, Bastien* assure pourtant ne se souvenir de rien. Cet homme de 43 ans est accusé d’avoir harcelé par téléphone, parfois pendant plusieurs années, 22 femmes, d’âges et d’horizons différents.
Des appels jusqu’à 2h du matin
Selon les investigations, Bastien aurait appelé ces 22 femmes à l’aide de 5 lignes téléphoniques différentes entre 2019 et 2024. Il appelait régulièrement en « numéro masqué », note le juge du tribunal et utilisait de faux noms comme Christophe ou Nicolas.
Il appelait ses victimes parfois jusque très tard dans la nuit. L’une d’elles dit avoir reçu jusqu’à 100 appels dans l’heure. D’autres parlent de coups de fil intempestifs jusqu’à 2 heures du matin.
Et toutes accusent « une grande angoisse ». Car l’homme à l’autre bout du fil connaît particulièrement bien leur vie. Une jeune fille, âgée de 12 ans au moment des faits, dit par exemple que Bastien se serait fait passer pour une connaissance de sa mère pour pouvoir discuter avec elle par téléphone. « Il connaissait son nom de jeune fille », s’étonne son avocate.
En plus de messages explicites du prévenu, comme : « Je vais venir te faire l’amour », plusieurs victimes disent « ne plus se sentir en sécurité, même aujourd’hui ». Autre élément troublant : la plupart des victimes de Bastien étaient souvent seules et isolées au moment des appels anonymes. De quoi générer encore plus d’anxiété.
« Je ne me rappelle pas »
À la barre, l’homme de 43 ans, survêtement de sport sur le dos, rejette la faute « sur l’alcool ». S’il reconnaît bien les faits, il dit n’avoir aucun souvenir des nombreux appels téléphoniques.
Je le faisais sous alcool donc je ne me rappelle pas.
Bastien
Accusé de harcèlement sur 22 femmes
« Comment vous expliquez votre comportement ? », questionne le juge. « Ce n’est pas bien mais je ne me rappelle pas. Je ne l’aurais jamais fait si j’étais à jeun », rétorque le prévenu.
Des numéros trouvés « sur les pages blanches » ?
« Mais il fallait quand même faire un sacré travail d’investigation pour retrouver autant d’informations sur les victimes », s’interroge une des avocates des parties civiles. Selon les vagues souvenirs de Bastien, il trouvait les numéros de portable « sur les pages blanches ou sur Facebook ».
Une méthode que les parties civiles ont « du mal à croire », tant certaines informations étaient privées et difficilement trouvables en ligne, pour ne pas dire impossible. « C’est particulièrement inquiétant pour les victimes de ne pas savoir comment vous avez récupéré autant d’informations sur elles », s’indigne une des avocates des parties civiles.
Bien connu de la justice
Surtout, Bastien est déjà défavorablement connu de la justice. Le juge revient sur l’ensemble de son œuvre : « Une condamnation en 2012 pour violences conjugales, une deuxième en 2013 avec des appels malveillants, des violences avec arme en 2018, des violences en état d’ivresse sur votre mère en 2021… »
« On vous a laissé plusieurs chances Monsieur », s’agace le juge. « C’est la dernière fois, j’arrête mes conneries », assure le prévenu. Mais le juge a « du mal à [le] croire ».
Au titre de leur préjudice moral, 9 victimes se sont constituées partie civile. Pour l’angoisse, les insomnies et « le calvaire », rapporté par certaines, elles réclament toutes un dédommagement financier à leur harceleur de 43 ans.
La procureure de la République requiert pour sa part une peine de 18 mois de prison avec un sursis probatoire de 3 ans, une indemnisation des victimes, une interdiction d’entrer à nouveau en contact avec elles et d’approcher de leur domicile. De plus, elle demande une obligation de soins, notamment pour son addiction à l’alcool.
Trois ans de prison avec sursis
Pour l’avocate de Bastien, il faut prendre en compte le parcours de vie chaotique de son client et sa grande solitude. « Il se sent seul, défend son conseil. Ses messages n’étaient pas empreints de violence mais il a cherché du réconfort de manière extrêmement maladroite. »
Sur l’alcool, « c’était devenu une habitude pour lui ». Elle persiste donc à croire que son client a « véritablement oublié » comment il avait trouvé les contacts des victimes. Mais « je ne pense pas qu’il avait l’intelligence nécessaire pour aller fouiller dans leur intimité », poursuit l’avocate.
Il a probablement trouvé tout ça sur internet ou sur les pages blanches.
L’avocate de la défense
Elle demande que l’on reconnaisse son client coupable pour l’ensemble des faits. Mais elle prie le juge de ramener les montants des indemnisations à des montants « plus raisonnables », notamment parce que son client est au RSA.
Au final, Bastien est reconnu coupable de l’ensemble des faits. Il écope d’une peine supérieure aux réquisitions : 3 ans de prison assortis d’un sursis probatoire de 3 ans**. Il devra également indemniser un total de 11 500 euros à neuf de ses victimes. Il a interdiction d’entrer en contact avec elle ou de les approcher. Il a aussi une obligation de soins et va devoir chercher du travail.
Le juge assure avoir fait preuve « d’indulgence », au regard de l’état de santé du prévenu, qui souffre actuellement d’une grave maladie respiratoire. « Mais la prochaine fois, ça ne passera pas », prévient-il.
*Le prénom a été modifié
**Cette peine est susceptible d’appel. Tout justiciable demeure présumé innocent tant que toutes les voies de recours n’ont pas été épuisées
Suivez toute l’actualité de vos villes et médias favoris en vous inscrivant à Mon Actu.