La jauge de la salle attribuée d’ordinaire au tribunal maritime de Marseille dans le palais de justice était insuffisante. C’est donc la salle numéro 1 du tribunal correctionnel qui avait été réquisitionnée pour permettre à la centaine d’amis, de proches et de parents qui avaient fait le déplacement depuis la Corse en mémoire de François-Noël Bianucci, d’assister aux débats. Ce vendredi 23 mai, Éric Gaffory comparaissait devant le tribunal maritime de Marseille pour homicide involontaire ayant causé la mort de François Noël Bianucci, son gendre de 29 ans, « par le fait, d’avoir navigué dans la bande littorale des 300 mètres à une vitesse supérieure à celle autorisée, sous l’emprise d’un état alcoolique avec un taux révélé de 0,99 g par litre de sang ».
Le navire au mouillage, un obstacle qui était « là où il n’aurait pas dû être »
Les faits remontent au 11 août 2024, aux alentours de 21 h 45, lors d’une nuit sans lune. Au terme d’une journée festive à la paillote « Café de la plage » sur la plage d’Arone, à Piana, alors qu’il pilotait un semi-rigide dans lequel François Noël Bianucci avait pris place avec son cousin Mathias Lomellini et son ami Cyril Tremari, Éric Gaffory percute violemment un navire vide, stationné au mouillage à quelques centaines de mètres du rivage, dans l’anse de Verghja.
Sous la violence du choc, François-Noël Bianucci est éjecté à 20 mètres du bateau, comme Mathias. Il est tué sur le coup. Son cousin s’en tire avec des vertèbres cassées tandis que Cyril souffre de contusions sévères. Éric Gaffory, quant à lui, est en état de choc psychologique.
Dès l’ouverture de l’audience, Maître Claude Deboosere-Lepidi, avocat au barreau de Versailles pour la défense, a sollicité auprès de la cour un supplément d’information qu’il a justifié par « l’imprécision concernant les circonstances particulières de la collision », et notamment le « positionnement exact du bateau percuté ».
Une appréciation des investigations menées que ne partagent guère les avocats des parties civiles, Maître Jean-Marc Lanfranchi pour les familles Bianucci, Lomellini et Tremari, et Maître Philippe Rocchesani pour les frères Patrice et Christophe Robaglia, propriétaires du bateau percuté, le Santa Monica 2.
La requête déposée par la défense sera toutefois versée au fond par la présidente du tribunal, Laure Humeau.
Appelé à la barre, Éric Gaffory, visage fermé et mine accablée, a tenu, avant toute chose, à évoquer « une tragédie irréparable, un souvenir douloureux » qu’il portera toute sa vie.
Cette soirée d’été et d’insouciance où toute la vie de la famille a basculé
Des trémolos dans la voix, il reconnaît désormais qu’il n’y « a pas de mot pour faire revenir François-Noël, un garçon remarquable, et pour atténuer la peine causée à toute sa famille. »
Il s’est ensuite souvenu avoir effectué le trajet retour entre Arone et la baie de Verghja à une vitesse moyenne de 25 à 30 nœuds, avoir évité les zones rocheuses à risque de Lava, des Sanguinaires et des Sette Nave, jusqu’à arriver à destination. Là, il aurait réduit sa vitesse, pour pénétrer dans le chenal jusqu’au choc fatal, avec un rocher pensait-il de prime abord, en tout cas, un obstacle » qui était là où il n’aurait pas dû être. »
Cyril Tremari, l’un des rescapés, le frère de cœur de François Noël, n’a pas du tout la même version des faits. À la barre, il évoque quant à lui, un départ » très rapide d’Arone, car Éric était pressé, il devait rejoindre une autre soirée « ,un moteur qui » crachait bien » jusqu’au moment fatal. Il a toujours à l’esprit les derniers mots de son » fraté « : » On va trop vite « .
Il regrette amèrement, sans doute, de ne pas avoir pris le taxi réservé au cas ou, par précaution, par François Noël. Il reconnaît s’être « un peu trop laissé porter ce soir-là « , avec François Noël et Mathias. » Il était plus âgé que nous, il était expérimenté. On lui a fait confiance lorsqu’il a insisté pour nous ramener « , déclare-t-il, ému.
En tout début d’après-midi, ce vendredi, l’audience a été marquée par l’intervention très poignante de Marie-Christine Codaccioni, la maman de François Noël. Digne dans sa douleur, s’exprimant de manière sobre, elle reviendra sur cette soirée d’été et d’insouciance où toute sa vie et celle de sa famille ont basculé.
François Noël était un chef d’entreprise dynamique et un frère protecteur
Elle décrira son fils comme un chef d’entreprise dynamique, un fils aimant, un frère protecteur et un ami fidèle. Auparavant, en quelques mots, c’est Vincent Lomellini, le papa de Mathias, qui avait tenté d’exprimer l’indicible, la souffrance à perpétuité de son jeune fils. Éric Gaffory écoute, sonné.
Dans leurs plaidoiries, Maîtres Jean-Marc Lanfranchi et Philippe Rocchesani pour les parties civiles, ont demandé que la cour reconnaisse la culpabilité pleine et entière du prévenu.
C’est d’ailleurs dans ce sens que Guillaume Bricier, procureur de la République, a orienté son réquisitoire, requérant une peine de 3 ans de prison assortie de 18 mois de sursis à l’encontre d’Éric Gaffory, ainsi qu’une suspension de son titre de navigation pendant 3 ans.
Pour la défense, Maître Claude Deboosere-Lepidi a mis en avant un drame humain qui s’est déroulé dans la sphère intrafamiliale et qui, a-t-il martelé, « en définitive, n’a fait que des victimes ».
Il a souligné » la culpabilité morale inévitable » de son client « qui chérissait François-Noël comme son propre fils ». Même si l’alcoolémie de son client est un fait avéré et si la vitesse à laquelle il pilotait reste à déterminer, il a fait état « d’un obstacle imprévisible sur la trajectoire de celui-ci et donc un cas de force majeur ».
La cour rendra sa décision le vendredi 27 juin au tribunal maritime de Marseille.