L’Allemagne est en passe d’enregistrer une troisième année consécutive de récession dans un contexte d’explosion des prix de l’énergie et de niveaux record de faillites.

En 2024, près de 200 000 entreprises ont fermé leurs portes dans le pays, selon une étude de Creditreform. Il s’agit du chiffre le plus élevé depuis 2011.

Et la tendance semble se poursuivre en 2025. D’après l’institut Leibniz, 1626 faillites d’entreprises ont été enregistrées au seul mois d’avril, soit 21 % de plus qu’en avril 2024. Ces chiffres dépassent même les valeurs de la crise financière de 2008.

« Il ne reste que quelques mois pour sauver l’industrie »

Alors que les prix de l’électricité atteignent des niveaux record en Allemagne, les géants de l’acier sont contraints de ralentir leur production pour survivre et de plus en plus d’entreprises délocalisent en Europe de l’Est ou en Chine.

L'industrie automobile allemande est en proie à une crise profonde

L’industrie automobile allemande est en proie à une crise profonde – Julian Stratenschulte/(c) Copyright 2025, dpa (www.dpa.de). Tous droits réservés

Même les emblématiques constructeurs automobiles allemands – dont Volkswagen Mercedes et BMW – ont du supprimer des milliers d’emplois ces dernières années.

Les produits allemands sont simplement devenus trop chers pour les consommateurs.

« Il ne nous reste plus que 24 mois pour sauver les industries à forte consommation d’énergie », déclare à Euronews le célèbre économiste Daniel Stelter, qui ajoute que les pertes subies jusqu’à présent par les entreprises industrielles sont irréversibles.

Daniel Stelter compte parmi les économistes les plus influents d'Allemagne

Daniel Stelter compte parmi les économistes les plus influents d’Allemagne – Daniel Stelter

« La politique de Katherina Reiche est la continuation de celle de Robert Habeck »

Daniel Stelter estime que la nouvelle ministre allemande de l’Économie Katherina Reiche (CDU) a bien identifié le problème des coûts énergétiques en plaidant pour la sécurité énergétique et des prix de l’électricité plus avantageux.

À ces fins, elle souhaite subventionner l’électricité industrielle par l’État. L’UE menace toutefois de ne pas participer à ce projet.

Katherina Reiche veut en outre construire de nouvelles centrales à gaz, alors que le prix du gaz n’a jamais été aussi élevé. Cette stratégie de la ministre permettra-t-elle de sauver l’économie allemande ?

« Quand il n’y a pas de vent et pas de soleil, nous avons besoin d’un approvisionnement sûr », explique Daniel Stelter. « Après avoir arrêté les centrales nucléaires et vouloir également arrêter le charbon, il ne reste plus que les centrales à gaz. Avec les seules énergies renouvelables, ce n’est pas possible ».

La nouvelle ministre allemande de l'Économie mise sur les centrales à gaz pour l'approvisionnement énergétique et sur les subventions à l'électricité pour l'industrie

La nouvelle ministre allemande de l’Économie mise sur les centrales à gaz pour l’approvisionnement énergétique et sur les subventions à l’électricité pour l’industrie – Kay Nietfeld/(c) Copyright 2025, dpa (www.dpa.de). Tous droits réservés

Mais, selon l’expert, la stratégie de Katherina Reiche n’est pas adaptée à un pays industrialisé tel que l’Allemagne.

« Ceux qui croient que les énergies renouvelables combinées aux centrales à gaz conduiront à une électricité bon marché vivent dans un monde de rêve », déclare l’économiste à Euronews.

« Beaucoup ne regardent que les coûts des panneaux solaires et des éoliennes. Ce n’est que lorsque le vent souffle et que le soleil brille que c’est avantageux. Quand nous devons prendre en compte les coûts du système, comme le stockage et les batteries – les énergies renouvelables sont alors les plus chères ».

Daniel Stelter estime que l'Allemagne doit revenir sur sa décision de sortir du nucléaire

Daniel Stelter estime que l’Allemagne doit revenir sur sa décision de sortir du nucléaire – Euronews Berlin

C’est pourquoi « la politique de Katherina Reiche – en l’état actuel des choses – est en fait la continuation de la politique de Robert Habeck » et celle-ci ne permet pas « d’approvisionner un pays industrialisé en énergie de manière durable et bon marché », poursuit Daniel Stelter.

« Si vous me demandez mon avis personnel, je n’aurais pas mis en œuvre la sortie du nucléaire de cette manière. Et je ferais maintenant tout mon possible pour revenir sur la sortie du nucléaire en réactivant les anciennes centrales nucléaires ».

La centrale nucléaire désaffectée de Grafenrheinfeld a été démantelée en 2024

La centrale nucléaire désaffectée de Grafenrheinfeld a été démantelée en 2024 – Karl-Josef Hildenbrand/(c) Copyright 2024, dpa (www.dpa.de). Tous droits réservés

« Le gaz est beaucoup trop cher »

L’expert en énergie Björn Peters est encore plus critique. Il vient tout juste de sortir son nouveau livre intitulé « Schluss mit der Energiewende » (en finir avec le tournant énergétique).

« Les centrales à gaz ne suffisent pas à faire baisser le prix de l’électricité. Elles sont très chères à exploiter. Le gaz est cher. Ensuite, il faut ajouter le coût du CO2 », explique Björn Peters.

« Cela signifie qu’à long terme, les prix de production atteindraient entre 15 et 20 centimes par kilowattheure. C’est trop cher, nous ne sommes pas compétitifs avec ça ».

L'expert en énergie Björn Peters s'entretient avec Euronews

L’expert en énergie Björn Peters s’entretient avec Euronews – Euronews Berlin

L’expert exhorte le nouveau gouvernement de Friedrich Merz à élargir rapidement l’offre.

« Cela passe par la récupération des centrales nucléaires, par une production nationale de gaz naturel et par le CCS, c’est-à-dire le captage du CO2 des centrales à charbon », déclare-t-il. « Nous avons assez de charbon pour 200 ans. Ce serait dans l’intérêt de la sécurité nationale de continuer à utiliser le charbon, mais avec les filtres appropriés ».

Les centrales nucléaires comme Brokdorf et Emsland seraient réactivables d’ici 2026. En outre, six autres centrales nucléaires pourraient être remises en service jusque dans les années 2030.

L’expert reste optimiste quant à ses attentes vis-à-vis de la nouvelle ministre de l’Économie, affirmant que Katherina Reiche veut « faire un inventaire avec sérieux ».

« Nous avons parlé avec certains représentants du gouvernement ces derniers jours. Et ils semblent au moins réfléchir à l’entrée dans le nucléaire », déclare Björn Peters.