Des gendarmes présents à Ouvéa en 1988 peuvent-ils demander une indemnisation à l’Etat parce que la hiérarchie de la gendarmerie de l’époque n’aurait pas mis en garde les militaires de la brigade de Fayoué sur un risque d’attaque par des indépendantistes ?
Cette question était au centre de l’audience jeudi du tribunal administratif de Lille saisi par dix anciens gendarmes d’Ouvéa (Nouvelle-Calédonie), ou leurs familles.
Faits amnistiés par les accords de Matignon, approuvés par référendum en novembre 1988
Leurs demandes avaient été adressées à l’été 2020 au ministère des Armées, sous la forme de « recours gracieux en indemnisation« . Huit gendarmes avaient été pris en otages le 22 avril 1988 lors de l’attaque de la brigade de Fayoué (quatre gendarmes tués) par un commando indépendantiste, puis retenus dans la grotte de Gossanah. Ils avaient été libérés le 5 mai suivant lors d’une opération meurtrière (19 indépendantistes et deux soldats tués). Deux autres recours sont portées par les familles de deux des gendarmes tués à Fayoué. L’ensemble des faits avaient été amnistiés par les accords de Matignon (26 juin 1988) approuvés par référendum le 8 novembre 1988.
Les révélations d’une ancien officier supérieur de gendarmerie
Ces requêtes suivaient alors les révélations faites sur ce drame par le lieutenant-colonel (ER) Henri Calhiol, dans un document publié par L’Essor en avril 2018. L’auteur, dans un long travail documentaire analysait les causes, les circonstances et les conséquences de cet épisode dramatique de l’histoire de la Nouvelle-Calédonie. Il défendait la thèse que l’attaque-surprise de la brigade de Fayaoué avait été facilitée par le fait que des directives capitales – dont le suivi et le contrôle avaient été négligés par la hiérarchie – n’étaient jamais parvenues à la petite brigade. En l’absence de directives, la brigade en était donc restée à un dispositif défensif inadapté à la nouvelle menace.
Appliquer le droit « objectivement«
A l’audience de jeudi, le rapporteur public a recommandé le rejet de ces demandes frappées, selon lui, par la prescription. Il a assuré respecter les souffrances des requérants mais insisté sur le nécessité d’appliquer le droit « objectivement« . Linda Zawadki, veuve de l’un des gendarmes mobiles tués à Fayaoué, a exprimé son indignation vis à vis de l’Etat, employeur de son mari, pour avoir dissimulé des informationss.
Raison d’Etat et responsabilité de l’Etat
Me Manuel Gros, l’avocat des dix requérants, a souligné que « le fait générateur du dommage (ndlr : révélations d’Henri Calhiol) naissait juridiquement en 2020 et non en 1988″. Il a donc ajouté que « le fondement de l’action lui-même ne permettait pas d’avoir fait démarrer la prescription quadriennale ». L’avocat a insisté sur le fait que le préjudice invoqué était un « préjudice nouveau« , dont la constatation ne pouvait se faire que bien après 1988.Le préjudice concernant les conséquences sur le déroulement de la carrière des gendarmes après Ouvéa « ne pouvait évidemment être connu dès 1988« .
Me Gros a assuré que la « raison d’Etat avait permis l’amnistie honteuse des assassins et le rôle de bouc émissaire octroyé aux gendarmes de Fayaoué ». Mais, a-t-il conclu, « la raison d’Etat ne devrait pas permettre au juge administratif d’empêcher la responsabilité de l’Etat a l’égard de ses agents ».
Le tribunal administratif de Lille devrait publier sa décision dans quelques semaines.
PMG