À 96 ans, Henri Planel porte en lui la mémoire vivante d’un rugby d’autrefois, où les lignes entre le XV et le XIII se croisaient au gré des trajectoires de vie. Ancien joueur des deux disciplines, le doyen du rugby à XIII partage avec une lucidité les souvenirs d’une époque où le rugby à XIII était en lumière.
Henri Planel assis sur son fauteuil roulant se souvient d’un rugby d’un autre temps. Né en 1928, cet ancien demi d’ouverture à XV et à XIII incarne une époque révolue du XIII. Henri a signé sa première licence de rugby à XV pendant son service militaire. À l’époque, tous les jeunes jouaient, et les régiments regorgeaient de talents. “On a été champions de France, et la moitié de l’équipe venait du XIII. J’étais meilleur à XV parce que je tapais mais pas envers le jeu au pied.”, rigole l’homme en regardant la dizaine de livres posés sur une table devant lui. Ancien champion de France militaire à XV et champion de France à XIII, celui-ci a dû mettre fin à sa carrière de joueur. “Je n’ai pas pu jouer longtemps, j’ai chaussé les crampons de mes 16 à 20 ans.”, confie-t-il avec une pointe de regret avant de renchérir “Mon père était prisonnier, j’ai dû reprendre l’affaire familiale, c’était intense. Je ne pouvais plus m’entraîner.”
À 18 ans, il porte déjà les couleurs de Carcassonne. Henri Planel joue son premier match en tant que remplaçant avec l’équipe Une. “Ce n’était pas de la rigolade, c’était dur. Les autres avaient 25 ans. C’était un autre rugby, une autre époque. Henri Planel est un homme du XIII. Dans les années 50, il vit la mutation du paysage rugbystique. “Les grandes villes ont pris le XIII, mais les journalistes ont fait la publicité du XV. Le Tournoi des Cinq Nations a été un grand phénomène. Les journalistes n’avaient d’autre choix que de le couvrir, sous la demande insistante des directeurs des médias. Ils me l’ont confié.”
Le temps révolu des stades pleins
Ce court passage sur les terrains ne l’a pas empêché de marquer l’histoire de son sport. Très vite, il passe de l’autre côté de la ligne de touche. Il devient secrétaire général de la fédération, directeur de l’équipe de France pendant une dizaine d’années. Mais toujours, il tient à le préciser : “Je me suis toujours occupé que du sport et des joueurs. L’administratif ça ne m’intéressait pas. Ce sont les hommes sur le terrain qui comptaient.”
Henri Planel sous les couleurs de l’AS Carcassonne
“Le XV progresse. Le XIII régresse”
Ce déséquilibre médiatique, Henri le vit encore comme une injustice. “Aujourd’hui, on parle très peu de XIII dans les médias. À l’époque, les stades treizistes étaient pleins. Maintenant, on se demande comment y amener du monde au stade. Nous peinons.”, raconte-t-il, le regard baissé. Il se rappelle même des jours de matchs où un plus d’une centaine de personnes se massaient sur la voie ferrée pour assister à une rencontre de l’équipe de Carcassonne au stade Albert Domec.
Pour lui, le rugby à XIII a été relégué dans l’ombre. “On n’est pas dans les mêmes catégories dans les journaux. Pourtant, les deux sports sont magnifiques.”, dit-il en regardant le journal posé à portée de vue sur la table devant lui. Il garde une admiration sincère pour les deux codes, mais avec une lucidité sur leur évolution respective. “Le XV progresse. Le XIII régresse. Et sans visibilité, pas d’argent. Sans argent, pas de joueurs. C’est un cercle vicieux. Je ne vois plus l’avenir de notre rugby à XIII. Nous sommes en perdition dans ce sport. Il ne faut pas parler avec rancœur. L’époque est derrière nous. Mais aujourd’hui, les jeunes ne connaissent plus cette belle période. Ils sont formés par des gens qui ne l’ont pas vécue.” Il évoque ses souvenirs avec tendresse : les grands joueurs, ou encore ce jour où à Saint-Gaudens, Jean-Marie Bonal, ailier international, le fit se lever de son fauteuil. Et serrant les poignées de son fauteuil roulant dans ses grandes mains, s’essouffle, ému : « C’était la dernière fois ».