La prééclampsie touche près de 3 % des femmes enceintes en France. Décrivez-nous cette pathologie ?

« La prééclampsie est une maladie de la grossesse. Elle est connue depuis très longtemps des obstétriciens. L’éclampsie peut être comparée à une grande crise d’épilepsie. Elle survient chez les femmes enceintes lorsqu’on laisse évoluer la maladie. Donc, la prééclampsie correspond à la période précédant l’éclampsie. Cette pathologie provient d’un dysfonctionnement du placenta qui fait l’interface entre la mère et le bébé. Le placenta est primordial pour le développement de l’enfant, mais également pour que se mette en place une tolérance du corps de la mère vis-à-vis de la grossesse. »

Un bébé a, au mieux, la moitié du patrimoine génétique de sa mère

Autrement dit, il permet à une mère de porter son enfant ?

« Oui, parce que le bébé a, au mieux, la moitié du patrimoine génétique de sa mère. Lors d’une grossesse, le bébé peut être assimilé à une « greffe d’organe ». Sauf qu’il n’y a pas à se poser la question de la compatibilité puisque le placenta assure la tolérance de la grossesse. Ce qui est impressionnant, c’est que cela fonctionne même en cas de don d’ovocytes où il n’y a aucun lien génétique avec la mère. Ce qui permet cela, c’est le placenta qui est un organe du bébé, qui a son patrimoine génétique et qui vient se coller sur l’utérus. »

« L’organisme est entraîné dans une sorte de cercle vicieux »

Le placenta se situe donc à la naissance de la prééclampsie ?

« Dans la prééclampsie s’instaure, en effet, un déséquilibre entre la mère et le placenta. On sait qu’on a alors beaucoup plus de débris placentaires qui circulent dans le sang de la maman. Ce qui va provoquer des conséquences en cascade sur tous les organes de la mère. La première manifestation de la prééclampsie qui, d’ailleurs, la définit, c’est l’hypertension artérielle. Autre indicateur de la prééclampsie, la présence de protéines dans les urines. »

Quelles sont les conséquences d’une éclampsie ?

«  Une crise d’éclampsie peut avoir des conséquences cérébrales très sévères. Elle peut entraîner des séquelles, voire le décès. Autrefois, les femmes enceintes mourraient soit d’une crise d’éclampsie, soit d’insuffisance hépatique, soit de troubles de la coagulation, soit d’insuffisance rénale. À partir du moment où la maladie se déclenche, l’organisme est entraîné dans une sorte de cercle vicieux. La mère réagit au placenta qui ne fonctionne pas bien et son hypertension s’aggrave progressivement. Cette hypertension aggrave alors les lésions du placenta et, naturellement, la prééclampsie va évoluer vers une dégradation généralisée qui touche tous les organes et peut conduire au décès. »

Il n’existe aucun traitement de la prééclampsie

Comment soignez-vous la prééclampsie ?

« On n’a toujours aucun traitement de la prééclampsie. On ne dispose pas de traitement qui permette au placenta de mieux fonctionner. Donc, le seul traitement disponible reste l’arrêt de la grossesse et le retrait du placenta. Il n’existe un traitement préventif qu’en cas d’antécédent de prééclampsie : l’aspirine. Il reste, aujourd’hui, très difficile de prédire la survenue d’une prééclampsie… »

Ce qui signifie des naissances prématurées ?

« La prééclampsie est la première cause de grande prématurité induite. Elle est aussi l’une des toutes premières causes de complications de la grossesse et de décès des mères dans le monde. »

En France également ?

« Heureusement, non. Comme on suit de très près les grossesses, la mortalité est très faible. D’ailleurs, l’un des principaux motifs de ce suivi, c’est la prévention de la prééclampsie. On surveille la tension et on recherche tous les mois, les protéines dans les urines. »

Quels sont les symptômes à ne pas ignorer ?

« L’hypertension peut provoquer des maux de tête, des sifflements dans les oreilles, des mouches dans les yeux… Il peut y avoir aussi un peu plus de nervosité que d’habitude. Le fait que les reins ne fonctionnent pas correctement va amener un gonflement des jambes, une prise de poids. Ces symptômes, même s’ils sont fréquents chez les femmes enceintes, doivent amener à consulter. »

Le CHRU de Nancy cherche à prédire la prééclampsie : « Nous espérons pouvoir proposer des tests dans les cinq ans »

L’équipe de gynécologie-obstétrique du CHRU de Nancy travaille depuis plus de dix ans sur le fonctionnement du placenta avec le laboratoire IADI (Imagerie Adaptative Diagnostique et Interventionnelle) de l’INSERM dirigé par Jacques Felblinger. «  C’est notre thématique de recherche principale », indique le Pr Olivier Morel.

Pour lui et ses confrères, le défi, aujourd’hui, est de prédire la prééclampsie : « Nous développons des outils associant marqueurs sanguins et échographie. Ces travaux sont très avancés grâce à une participation très large des femmes enceintes. Nous espérons pouvoir proposer ces tests en pratique courante avec un impact sur la prévention dans les cinq ans à venir. »

« Offrir aux femmes et enfants de Lorraine le meilleur niveau de prise en charge »

Les équipes d’obstétrique, d’anesthésie et de pédiatrie du CHRU sont également pleinement mobilisées pour la prise en charge de ces grossesses, qui « requiert le plus haut niveau de compétence humaine et technique, ainsi que des équipes solides et coordonnées », explique le gynécologue  : « Nous avons la chance, aujourd’hui, d’être un grand centre de type 3 (habilité à prendre en charge les grands prématurés) ce qui permet d’offrir aux femmes et enfants de Lorraine le meilleur niveau de prise en charge possible, grâce à des équipes stables et entraînées du fait du haut niveau d’activité. »

L’un des autres défis est d’améliorer la prise en charge globale, « en faisant le maximum pour que parents et enfants ne soient pas séparés à la naissance malgré les complications maternelles et la grande prématurité, et aussi en prenant en charge les risques de stress post-traumatique et cardio-vasculaires sur le long terme ».

Th.F.