Abel est un livre déroutant, difficilement classable. Baricco l’a qualifié de western métaphysique, deux mots rarement associés.

Qui est Alessandro Baricco, l’un des trois invités d’honneur à la Foire du livre de Bruxelles ?

Le western est son décor avec l’Infini de l’Ouest. Le personnage central dont on va suivre des épisodes de la vie, Abel Crow, est un pistolero, un as du tir, au point de réussir le coup appelé Mystique quand le pistolero dégaine deux pistolets à la fois pour atteindre simultanément à l’aveugle deux cibles ! Abel devenu une légende est choisi comme shérif.

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A l’époque, ils existaient encore – des espaces jamais vus, des terres dont on n’avait pas conscience.

Abel fait partie d’une famille où tous les enfants portent des prénoms bibliques : Isaac mort jeune, Samuel « qui creuse la terre », David le pasteur, Joshua le fou et la sœur Lilith, prénom de la première compagne d’Adam, avant Eve.

Chronique métaphysique

Leur chronique est racontée en courts chapitres, parfois sans enchaînements chronologiques bien clairs. Dans l’un, on apprend que le père tira une balle tout près de la joue de son fils David pour que celui-ci « sente le souffle fugace, comme un lasso invisible entre le cœur du tireur et celui de sa cible ».

Un thème central est la condamnation à la pendaison de la mère, accusée d’avoir volé un étalon. Les enfants vont tenter de la sauver en faisant exploser l’église locale et en demandant à Abel de couper d’un tir miraculeux la corde au cou de sa mère.

Il y a des épisodes dans lesquels peut surgir l’étrange comme celui du duel où la cause suit l’effet et pas le contraire.

On croise un docteur, un juge, des Indiens qui chassent les baleines ou encore le Maître, le gourou d’Abel qui lui apprend à maîtriser ses peurs en lui expliquant : « Mourir n’est pas le problème. Un pistolero n’a pas peur de mourir. Il a peur d’échouer. Tirer est une manière d’exister, dramatique et rare. Découvrir qu’on n’est pas à la hauteur, voilà qui fait peur. À côté, mourir est une promenade. »

Trois femmes entourent Abel : Lilith, une bruja (une sorcière), et Hallelujah Wood avec qui il entretient une relation épisodique. « Elle passe dans ma vie sans s’arrêter, je le sais. Je suis son homme, elle est ma femme. Nous passons sans nous arrêter, c’est entendu ainsi. »

Alessandro Baricco, « Mr Gwyn »

Alessandro Baricco mêle à son récit des références métaphysiques et philosophiques, à la Bible, à Aristote, Platon et Hume.

Le roman devient un puzzle dont chaque pièce est un chapitre avec un questionnement existentiel, une réflexion sur la vie, la justice et ses fondements, les conséquences de nos actes.

Même si on peut parfois se perdre dans ce récit éclaté, l’écriture de Baricco est portée par une belle poésie et par la force des grands espaces du western.

Abel | Roman | Alessandro Baricco, traduit de l’italien par Lise Caillat | Gallimard, 166 pp. 20,50 €, numérique 14 €

EXTRAIT

« Mais pourquoi ces nuits sans sommeil, et cette terreur dans l’obscurité, quand personne ne peut me faire du mal ? De quelle terre, de quel ventre viennent les démons qui au coucher du soleil serpentent sournoisement à ma rencontre pour nicher dans mon âme, et déposer les œufs de la folie dans les replis de ma joie ? À quoi bon alors garder le dos droit face au regard des hommes et à leurs pistolets, si de toute façon la peur se tapit dans la caverne de mes nuits ? »