Par
Jade Lacroix
Publié le
25 mai 2025 à 20h16
Remboursement d’un prêt, financement des études, complément de revenus… de plus en plus de personnes se lancent sur OnlyFans en espérant gagner beaucoup d’argent en vendant des photos érotiques.
Pour Jessica Derzelle, maman de 41 ans, ce sont ses dettes et son salaire insuffisant qui l’ont poussée à se créer un compte sur la plateforme de contenus exclusifs aux 305 millions d’utilisateurs.
Revenus, réactions de ses proches, risque de licenciement… Pour actu.fr, elle s’est confiée sur ce travail qui n’est pas sans risque.
Des problèmes financiers qui ont poussé Jessica à s’inscrire sur OnlyFans
Jessica Derzelle n’a pas commencé sa carrière sur les plateformes de contenus exclusifs. Ergothérapeute de formation, la maman de deux adolescentes décide, il y a quelques années, de se spécialiser en pédiatrie. D’abord en cabinet, elle postule ensuite dans un pôle territorial afin de travailler dans les écoles pour aider les enfants ayant des troubles d’apprentissage.
Prise dès le lendemain de sa candidature grâce à son profil expérimenté, la maman qui avait alors 39 ans demande si son ancienneté sera bien reprise, lui permettant d’avoir un salaire plus élevé. On lui assure que ce sera le cas, mais elle déchante lorsqu’elle reçoit son premier salaire : il ne tient pas compte de son niveau d’expérience.
Vidéos : en ce moment sur Actu
Un salaire de 2 200 euros en tant que maman solo avec deux filles, ce n’était pas assez. Donc j’ai dû continuer à exercer en cabinet en parallèle de mon activité salariée. Je faisais des bilans le mercredi et je les écrivais le samedi. Et je me suis retrouvée à bosser 6 jours sur 7 pour pouvoir payer mes factures.
Jessica Derzelle
En plus de ce revenu insuffisant, Jessica doit encore payer des frais d’avocats liés à la rupture avec le père d’une de ses filles. « La séparation ne s’est pas bien passée du tout. Au bout d’un moment, je me suis retrouvée sans rien du tout, même sur mon livret d’épargne. »
Au détour d’une discussion, une amie lui parle alors de la plateforme de contenus exclusifs française Mym, et l’idée de se créer un compte commence à faire son chemin. Par la suite, un collègue lui parle d’OnlyFans, une plateforme qui marcherait encore mieux. En décembre 2023, Jessica choisit donc de se lancer sur celle-ci, bien que jamais, elle n’aurait « imaginé faire un truc pareil ».
Pour rappel, OnlyFans permet à des personnalités de discuter avec leurs « fans », le nom donné aux consommateurs, et leur vendre des photos exclusives. Créée en 2016 au Royaume-Uni, la plateforme a été progressivement détournée pour un usage érotique. En 2023, elle comptait 4,12 millions de créateurs et 305 millions d’utilisateurs dans le monde.
« Il fallait faire bien plus que des photos de pieds pour avoir de l’argent »
Comme beaucoup, Jessica a entendu parler de l’argent qu’il serait possible de se faire avec une simple image de pied. Celle qui n’avait auparavant jamais fait un travail en lien avec le sexe poste donc une première photo de ce type pour compléter son salaire. « Mais je me suis vite rendue compte que c’était un peu de l’arnaque et qu’il fallait faire bien plus que des photos de pieds pour avoir de l’argent », se rappelle-t-elle.
C’est à ce moment-là qu’elle est contactée par une agence de modèles OnlyFans. Contre une commission allant de 20 à 80 %, ces entreprises gèrent les publications privées et les réseaux sociaux, ainsi que les échanges avec les utilisateurs, tout ça dans le but d’augmenter les revenus du créateur.
Sauf que je me suis fait vraiment arnaquer. Ils me demandaient de poster tout le temps et de rester éveillée la nuit. Au final, ils sont partis avec tous mes contenus qui étaient sur un Drive partagé. Ils les ont postés sur Reddit (NDLR un forum de discussion) sans mon accord.
Jessica Derzelle
Jessica a porté plainte, mais sans grand espoir. « Le policier m’a dit ‘quand on va sur ce genre de plateforme, il ne faut pas s’étonner’, je l’ai très mal pris. » Depuis, elle gère son compte seule, sans l’aide d’une de ces agences.
Selon Pierre Brasseur, professeur de sociologie à l’université libre de Bruxelles et coauteur d’une étude sur le sexcaming, interrogé par actu.fr, c’est un des problèmes de cette activité.
La question du droit à la propriété intellectuelle, elle se pose avec ce genre de plateformes où les créateurs ne sont pas considérés comme des artistes. Il peut y avoir des problèmes si des personnes enregistrent les contenus aux dépens des créateurs et après les rediffusent.
Pierre Brasseur
Professeur de sociologie à l’université libre de Bruxelles et coauteur d’une étude sur le sexcaming
Et une fois diffusés illégalement sur Internet, ces contenus sont difficiles à retirer. « Quand je suis allée porter plainte, les policiers m’ont dit que c’était très compliqué d’intervenir sur des contenus en ligne comme ça », regrette Jessica.
Sur OnlyFans, des travailleurs du sexe en quête d’un complément de revenus
Le récit de Jessica Derzelle illustre une partie de la réalité des créateurs d’OnlyFans. Mais une autre partie des modèles se lancent sur la plateforme car ils ont déjà un pied dans le travail du sexe. C’est d’ailleurs leur notoriété qui leur permet d’attirer des « fans » sur leur compte.
C’est le cas pour Adrian* (prénom modifié), acteur pornographique français qui a commencé à poster des vidéos et des photos sur la plateforme en 2020. Comme il l’explique à actu.fr, il s’est créé un compte pour avoir un complément de revenus et parce que « beaucoup de gens parlaient de gains complètement délirants ». Mais pour lui, cette plateforme n’est qu’une activité secondaire et « 95 % » de ses revenus viennent des vidéos pornographiques. Par exemple, le mois dernier, il a généré 254 dollars sur le site, mais après la commission OnlyFans et les impôts, il n’a récolté qu’environ 160 euros. « En réalité, ça ne gagne rien », déplore Adrian.
12 000 euros bruts par mois
Jessica a également créé des comptes sur les réseaux sociaux qui lui servent de vitrine pour son activité. Désormais, ce « petit bout de femme de 41 ans » comme elle se décrit sur son profil, gagne au moins 12 000 euros bruts par mois, « soit environ 6 000 euros nets après avoir payé les impôts et la commission OnlyFans », en postant des photos et vidéos sexy en lingerie ou entièrement nue.
Mais attention, le niveau de revenus atteint par Jessica n’est pas commun et provient notamment de sa notoriété sur les réseaux sociaux (près de 70 000 abonnés sur Instagram). « OnlyFans insiste sur le côté ‘argent facile’, alors même que pour gagner beaucoup d’argent, il faut énormément travailler. L’histoire d’une jeune femme qui, du jour au lendemain, déciderait de poster une photo d’elle et qui arrive à gagner un million d’euros est presque impossible », rappelle Pierre Brasseur.
« C’est un vrai boulot ! »
Justement, pour arriver à ce niveau de revenus, Jessica a dû développer une vraie stratégie : l’abonnement à son profil est gratuit, mais elle vend ensuite des contenus personnalisés en démarchant chaque abonné avec des messages privés. Beaucoup d’autres modèles utilisent ce système sur la plateforme.
Car sur OnlyFans, les « fans », les utilisateurs, peuvent s’abonner (gratuitement ou avec un certain prix) à leurs personnalités préférées. Ensuite, ils payent le prix indiqué pour avoir du contenu privé en discutant avec le modèle ou ils donnent un pourboire au prix libre pour un contenu déjà en ligne.
Actuellement, Jessica assure que cette activité lui prend moins de temps que son emploi salarié, mais qu’elle doit quand même se connecter « tous les jours » pour discuter avec une partie de ces 4 300 « fans » et alimenter ses réseaux sociaux. « C’est un vrai boulot. »
« J’ai pu faire de beaux cadeaux de Noël »
La mère de deux filles de 17 et 13 ans peut désormais gérer son temps comme elle veut, mais ce n’est pas le seul avantage qu’elle constate.
Cela me permet d’être connue sur les réseaux et donc de rencontrer des personnalités. Je peux aussi voyager et vivre correctement avec mes filles. En fin d’année, j’ai pu faire de beaux cadeaux de Noël. Et donc oui, ça m’a permis de rembourser mes dettes.
Jessica Derzelle
Quant à ses filles, elle leur en a parlé dès le début. Très proches de leur mère, elles ont bien réagi à cette annonce. « Ma plus grande m’a même déjà dit ‘ça m’a fait changer mon point de vue là-dessus’. »
En revanche, elle n’aimerait pas qu’elles se lancent dans cette activité. « Je n’ai absolument pas envie que mes filles soient sur les plateformes privées. Mais je pense que mon rôle de parent est d’accompagner mes enfants dans leur réflexion et je n’ai pas à interdire quoi que ce soit », tempère la mère de deux adolescentes.
Des insultes sur les réseaux sociaux
En postant des photos de son corps sur OnlyFans, Jessica a également gagné en confiance en elle. « Les gens pensent qu’il n’y a que des gros dégueulasses sur ces plateformes, mais il y a des gens vraiment très bien qui nous complimentent », assure-t-elle. Certains la suivent depuis le début et participent à chaque direct qu’elle fait sur TikTok.
Jessica a eu peu de mauvaises expériences avec des fans. Elle se rappelle cependant d’un abonné lui ayant fait une demande de contenu avec ses filles. « Je l’ai bloqué et il a été exclu de la plateforme. »
La plateforme comptait plus de quatre millions de créateurs selon les derniers chiffres de 2023. (©Image J.L / actu.fr)
Selon Pierre Brasseur, c’est un autre risque de la plateforme. « Les modèles peuvent faire face à des clients particulièrement invasifs, qui veulent tout savoir de la vie de la personne », alerte le sociologue. Il recommande donc de ne donner aucune information personnelle (ville, nom, prénom…) pour éviter de se faire agresser ou harceler dans la vie réelle.
En dehors des plateformes de contenus privés, Jessica reçoit beaucoup d’insultes. « On me dit que je dois avoir des kilomètres au compteur, que je suis vieille, moche… » Une amie proche a également décidé de ne plus lui parler à cause de son activité.
« Je ne pourrais plus jamais travailler dans les écoles »
De même, dans le monde du travail, sa deuxième activité lui a attiré des problèmes.
Mes collègues étaient au courant tout comme mes deux chefs directs. Mais une fois que cela a pris plus d’ampleur, là c’est remonté plus haut à ma direction et j’ai été convoquée. Le directeur m’a dit, « soit tu arrêtes les plateformes, soit tu donnes ta démission et tu pars sans faire de vagues ».
Jessica Derzelle
Mais la mère de deux filles de 17 et 13 ans ne veut pas arrêter OnlyFans, d’autant plus qu’elle va bientôt devoir payer les études supérieures de sa fille. Une procédure de licenciement est alors entamée, toujours en cours à l’heure actuelle. Elle a même été entendue par des représentants de sa commune où elle a dû justifier son choix. Une tribune qu’elle a saisie pour appuyer sur sa liberté et sur la tolérance qu’il faut transmettre aux enfants.
Mais elle reste pessimiste. « Dans tous les cas, je sais que je ne pourrai plus jamais travailler dans les écoles, donc toutes les formations que j’ai faites en pédiatrie ne servent plus à rien… », souffle Jessica.
Elle veut se consacrer à 100 % aux plateformes de contenus exclusifs
Malgré ces points négatifs, Jessica ne veut pas arrêter. « Quand je vois ce que je peux offrir à mes enfants aujourd’hui et le temps que j’ai récupéré avec eux, c’est plus du positif. »
Actuellement, son projet est d’ailleurs de se consacrer à 100 % à ces plateformes, toujours seule et sans aller vers la pornographie ou la prostitution. En parallèle, elle veut suivre une formation de sexologue et proposer des appels payants pour acoompagner ses abonnés.
Plus largement, elle aimerait changer le regard sur son activité. « J’ai aussi envie de montrer aux gens qu’il faut arrêter de mettre tout le monde dans des cases et d’avoir des a priori sur tout », appuie Jessica.
Je ne m’invente pas de personnages et je n’accepte pas de collaboration pour faire que ce qui me ressemble. J’ai envie de ramener les gens à une sexualité qui est vraie, parce que tout est déformé de nos jours. Le porno détruit énormément de choses.
Jessica Derzelle
Avec sa vision des choses et ses multiples casquettes, Jessica Derzelle se voit plus que comme une créatrice de contenus. « Je suis une thérapeute avant tout. »
Suivez toute l’actualité de vos villes et médias favoris en vous inscrivant à Mon Actu.