Dans « Rose immobile », Karin Serres imagine une narratrice se retrouvant soudain clouée sur une chaise de la cuisine familiale. Avec ce nouveau roman, l’autrice française ouvre les portes de l’étrange et du fantastique, faisant naître d’autres façons d’être au monde.

Un samedi matin ordinaire, juste après le petit-déjeuner, Rose, mère de famille, constate alors qu’elle est assise sur sa chaise, en chemise de nuit et les yeux fermés, qu’elle est dans l’incapacité de bouger. Sans le savoir, la narratrice a plongé dans une immobilité durable où se dessinent les prémices d’une mutation qu’elle retranscrit.

Je me sens mieux derrière mes paupières fermées, fines comme des pétales de fleur séchés. Je respire à nouveau régulièrement, comme sous un couvre-théière qui me préserve du monde, provisoirement effacé.

Extrait de « Rose immobile » de Karin Serres

« Rose immobile » de Karin Serres nous invite à explorer l’intériorité et les perceptions sensorielles de cette jeune mère en train d’expérimenter une condition inhabituelle.

Autour d’elle, il y a son époux Will qui essaie de garder le cap, s’occupe des enfants et cherche à faire revenir Rose parmi eux. Tim et Tom de leur côté ne s’inquiètent pas et s’amusent parfois même de la situation. Ce faisant, ils gardent un lien fort et bienveillant avec cette mère qui semble avoir besoin de repos et qu’ils laissent dormir.

Une exploration sensorielle unique

L’autrice nous conte une histoire où les sens autres que la vue sont convoqués. Rose est à l’écoute de ce qu’elle ressent intérieurement, mais aussi de ce qui se passe autour d’elle. Toujours présente, en lien avec les siens, elle cherche à deviner à quoi correspondent les sons et les odeurs qu’elle discerne.

Pour l’autrice Karin Serres, qui écrit aussi pour la jeunesse, le théâtre, et la radio, l’ouïe est fondamentale.

 J’écris avec mes oreilles, c’est un peu étrange à dire, mais je n’ai aucune image quand j’écris, j’entends les voix qui racontent, et j’ai des sensations cinétiques aussi.

Karin Serres, autrice de « Rose immobile »

« Rose immobile » est porté par une écriture subtile et toujours plausible. L’autrice nous invite à faire partie de cette petite communauté que forme la famille de Rose. Des personnages à qui l’on s’identifie tout au long du récit. C’est avec elle et eux que l’on part faire une balade dans le parc, lorsque Will a l’idée de placer des roulettes sous les pieds de la chaise de Rose pour pouvoir lui faire prendre l’air. Mais bientôt, les enfants voient le teint de leur mère changer: Rose verdit et un séjour à l’hôpital devient inévitable. La science la met en observation. Quelle issue l’attend? Retournera-t-elle à la maison auprès des siens? Et ensuite?

Un fantastique subtil pour « réparer le réel »

Jusqu’au dénouement, personne ne lâche cette Rose immobile, que ce soit le lectorat ou l’entourage de la narratrice. On la suit avec amour vers cette fantastique et troublante métamorphose. Avec ce roman où le réel résiste, Karin Serres dessine des pistes de créativité, d’autres manières, poétiques, d’être au monde. L’ensemble exhale un étrange parfum de subversion.

« Ce que j’aime c’est que le fantastique soit comme une porte qu’on ouvre sur d’autres possibilités dans le réel. Je cherche le réel qui s’ouvre et qui se multiplie et de façon invitante (…), un fantastique qui permette de réparer le réel dans lequel on vit », conclut Karin Serres dans le podcast QWERTZ du 8 avril.

Céline O’Clin/sf

Karin Serres, « Rose immobile », éditions Alma, mars 2025.

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