La ville de Strasbourg prépare son jumelage avec le camp de réfugiés palestinien de Aïda, au nord de Bethléem, en Cisjordanie, où vivent 7 000 habitants sur 4 hectares. Les Israéliens ont construit un mur surveillé jour et nuit, qui coupe les Palestiniens de leurs champs d’oliviers et de leurs plantations. Depuis plusieurs années, la ville de Strasbourg et des associations locales entretiennent des liens d’amitié et des échanges avec les habitants du camp, notamment dans le domaine des activités culturelles et sportives pour les enfants et les adolescents. « La situation actuelle aussi tragique soit-elle, à Gaza comme dans le reste du territoire palestinien, ne doit jamais nous faire perdre de vue notre objectif politique, celui de la paix, dont on sait qu’elle pourra être durable si elle passe par la création d’un État palestinien », a tenu à rappeler la maire de Strasbourg, Jeanne Barseghian, en recevant samedi une délégation de responsables palestiniens du camp d’Aïda, venus à Strasbourg pour préparer le jumelage. Samedi après-midi, les membres de la délégation palestinienne ont participé à la Fête de l’Humanité organisée par la Fédération du Bas-Rhin du PCF, en présence de la maire de Strasbourg et du directeur de l’Humanité, Fabien Gay. Abdelfattah Abusrour, est le fondateur et directeur du centre culturel Alrowwad, lieu central des relations sociales dans la vie quotidienne du camp de réfugiés d’Aïda. Entretien.
Quelle est la situation actuelle dans le camp d’Aïda, dans le contexte de la guerre destructrice menée par Israël à Gaza et la Cisjordanie ?
Le camp d’Aïda a été classé comme la zone la plus exposée aux gaz lacrymogènes dans le monde, par une étude de l’Université de Berkeley aux États-Unis. Malheureusement la situation continue à se dégrader en Cisjordanie en général, et dans les camps de réfugiés en particulier. Le camp d’Aïda est entouré par un mur illégal qui est gardé par l’armée israélienne avec 6 miradors et des caméras de surveillance partout. Il y a plus de 150 jeunes qui ont été arrêtés depuis le 7 octobre pour des raisons administratives, donc il n’y a pas d’accusations, pas de charges de participation active dans quelque action que ce soit. Israël pense que les jeunes peuvent peut-être faire quelque chose, et ça suffit pour qu’ils soient arrêtés et emprisonnés pendant des mois.
Le chômage dépasse 90 %, les gens qui avaient des permis pour aller travailler de l’autre côté du mur ne peuvent plus traverser les checkpoints. Les jeunes étudiants ne peuvent pas payer leur inscription pour entrer dans les universités qui sont chères. Or il y a beaucoup de demandes pour essayer de poursuivre des études, les Palestiniens accordent une grande importance à l’éducation de leurs enfants. Avec les attaques d’Israël contre l’UNRWA (l’Agence de l’ONU dédiée aux réfugiés palestiniens, N.D.L.R.), le soutien humanitaire, médical, et éducatif, a beaucoup diminué, car tous les employés internationaux ont été chassés depuis le 28 mars, ce qui met tout le poids de l’aide sur les associations qui se trouvent dans le camp. Elles doivent trouver des alternatives pour les médicaments, les aides pour payer les loyers, pour nourrir les enfants, les étudiants, ou les malades qui ont besoin d’opérations médicales.
Les difficultés se sont aussi durcies avec l’alignement des États-Unis et de certains pays européens sur les positions d’Israël. Il y a un manque d’horizon, mais nous n’avons pas le luxe du désespoir pour des enfants qui ne voient pas de solution, qui voient que l’armée israélienne peut rentrer à n’importe quelle heure, tout retourner dans leurs maisons, arrêter leurs parents, sans aucune protection. Des enfants de 12 ans ont été arrêtés par cette armée d’occupation israélienne. Dans la nuit du 2 au 3 décembre 2024, l’armée israélienne a enfoncé les portes du camp et ce n’était pas la première fois. Ils ont dit qu’ils étaient chez eux, ils ont cassé les portes des maisons, démoli des objets, les caméras. Mais le plus grave – et c’est la première fois qu’ils faisaient cela -, ils ont transformé le centre culturel en centre de détention et d’interrogatoires. Ils y ont amené une centaine de jeunes du camp, les yeux bandés, en les frappant, et de minuit jusqu’à 7 heures du matin, ils les ont interrogés dans mon bureau. Ils avaient attaché un immense panneau où était écrit que le centre était désormais le centre israélien d’interrogatoires et de détention.
Les familles pensent donc que le camp n’est plus un lieu sûr pour leurs enfants. Tout le travail qu’on essaie de faire est détruit. Il faut recommencer à rassurer les familles. Donc c’est devenu très dur depuis le 7 octobre. Mais les Israéliens ne peuvent pas réaliser leurs objectifs parce qu’il est impossible d’éliminer une idée. Les gens ont la résistance en eux, et ces injustices nous rappellent que nous sommes toujours sous occupation.
Quels sont les effets de ces actes de violence de l’armée israélienne sur les enfants dont vous vous occupez dans le centre culturel ? Comment résistent-ils ?
Moi parfois, j’en ai marre d’admirer la résilience palestinienne. Quand un enfant de 8 ans me dit « je veux mourir parce que tout le monde s’en fiche », ce n’est pas quelque chose que n’importe quel père ou mère a envie d’écouter, et je ne peux pas être fier qu’un enfant dise cela. Mais quand même, on trouve la force de vivre et de l’espoir dans ces sourires malgré l’amertume, la peine et la torture. C’est important qu’on essaie de sourire pour garder le moral, et se dire qu’on est des êtres humains. On sourit parce qu’on refuse d’être accusés d’être des gens qui ne connaissent que la haine et la violence. On sourit pour dire qu’on n’est pas nés pour subir l’occupation et accepter l’injustice et l’oppression, ou pour dire que l’on va s’habituer. On ne veut pas que nos enfants s’habituent à cela.
Donc oui, il y a une force de la justice. L’injustice ne peut pas dominer le monde. Israël se moque des souffrances des Juifs avec ces extrémistes qui sont au pouvoir et qui humilient le judaïsme. Il y a une force entre les Palestiniens parce qu’ils se disent que l’injustice s’arrêtera un jour. On a vu des occupations venir et partir. De notre point de vue en Palestine, on ne voit pas un seul ennemi, Israël, on voit toute une coalition de pays qui soutiennent cette occupation, et cela nous renforce. Même avec toutes ces forces internationales, leurs peuples ne peuvent pas accepter cela. Donc sûrement il y aura la libération, la justice, de la paix, de l’amour, de l’égalité de la fraternité. Ce n’est pas l’injustice, l’oppression et le désespoir qui vont dominer.
Que demandez-vous au monde et aux Français, dans cet instant précis de l’histoire du peuple palestinien ?
Je pense que le peuple français peut regarder dans son histoire, pendant l’occupation nazie, le gouvernement de Vichy. Combien de Français ont accepté l’occupation, combien ont collaboré combien ont résisté, combien se sont révoltés contre l’oppression et le gouvernement de Vichy ? Quand on a subi l’occupation, quand, à la fin de la Seconde guerre mondiale, les Juifs ont lancé le cri « jamais plus ! », c’était pour toute l’occupation, toute l’oppression qui était visée, pas seulement l’oppression contre les Juifs. C’est pour cela que je fais confiance à tous les gens qui manifestent dans la rue aujourd’hui à travers le monde, qui élèvent leurs voix, qui demandent qu’il y ait un arrêt de ce génocide, qu’il y aura la reconnaissance de l’État palestinien, qu’il y aura un arrêt de cette guerre suicidaire qu’Israël commet vis-à-vis d’elle-même.
Nous, nous avons vécu l’occupation, nous allons continuer à résister. On ne sent pas qu’on se déshumanise. Ce sont eux, les Israéliens qui se déshumanisent avec tout ce qu’ils font. Donc nous demandons à tous ceux qui font entendre leur voix qu’ils continuent à le faire, à manifester, à faire pression sur leurs gouvernements pour que leur politique change, qu’ils en finissent avec cette langue de bois, et qu’ils prennent des décisions qui aient des effets réels, concrets. Israël n’arrêtera rien tant qu’il n’y aura pas l’arrêt des accords économiques privilégiés, tant qu’il n’y a pas une sanction contre l’occupation israélienne. Les crimes contre les Palestiniens ont lieu parce qu’Israël a le soutien des Européens. Que l’Eurovision soit honnête avec ses valeurs européennes, et arrête d’intégrer les chanteurs israéliens. Que les accords économiques, culturels et artistiques, s’arrêtent avec tous ces artistes qui soutiennent l’occupation contre les Palestiniens. Et que la décision de la Cour pénale internationale qui a jugé que Netanyahou et son gouvernement sont des criminels de guerre, soit respectée.
En vous adressant aux élus et aux militants de la cause palestinienne, ici à Strasbourg, vous avez insisté sur le fait que la question palestinienne n’était pas humanitaire, mais politique. Pourquoi ?
C’est le vrai fond de la question, parce que cela fait 77 ans que nous subissons l’oppression et les crimes, et ça ne s’est jamais arrêté depuis. Cette tragédie de la Nakba continue jusqu’à aujourd’hui, c’est-à-dire l’extermination du peuple palestinien, le déracinement, les colonies, et l’annexion des terres. Ce que peut exporter la Palestine est dans les mains des Israéliens, l’argent des taxes est pris par Israël, alors que toutes les destructions commises pas les Israéliens contre les maisons palestiniennes ne sont pas compensées. Il faudrait qu’il y ait quand même une balance des choses.
Israël jusqu’à maintenant ne change pas parce qu’il n’y a aucune punition réelle contre elle, aucune sanction, aucun isolement qui est mis en place par les pays extérieurs, notamment les pays européens. Il n’y a que des paroles, mais Israël s’en fiche. Il faudrait qu’il y ait des positions claires et des actions. Le monde ne va pas changer par de bonnes intentions.
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