Nice (Alpes-Maritimes), envoyé spécial.
Le titre de la grande exposition du musée Matisse de Nice, « Matisse Méditerranée(s) », avec 150 œuvres, parmi les onze autres expositions de la Biennale des arts et de l’océan que propose la capitale de la Côte d’Azur jusqu’au mois d’octobre, ne doit pas faire illusion.
D’une certaine manière, et pour le dire un peu comme une provocation, Matisse n’a jamais peint la mer. Le pluriel d’ailleurs, le signale. Il y a pour lui la mer qu’on raconte dans le chant des sirènes lorsqu’il illustre Ulysse de Joyce, la mer comme une seule grande vague bleue (la Vague, 1952) ou comme deux grandes bandes bleues horizontales dans les Baigneuses à la tortue (1907-1908), la mer à travers les persiennes ou le cadre des fenêtres ouvertes…
L’écrivain Francis Carco, dans l’Ami des peintres (1944), se rappelait ses paroles : « Vous souvenez-vous de la lumière qu’on voit à travers les persiennes ? Elle venait d’en dessous comme d’une rampe de théâtre. Tout était faux absurde, épatant délicieux »…
« La sauvegarde des écosystèmes marins »
La mer n’en est pas moins partout dans la ville qui va accueillir, du 9 au 13 juin, en co-organisation avec le Costa Rica, après New York en 2017, Lisbonne en 2020, la troisième conférence des Nations unies sur l’océan pour laquelle 2000 scientifiques devraient être présents parmi 15 000 participants.
Les accords de Nice, assure son maire, Christian Estrosi, seront le cadre dans lequel la communauté scientifique se rassemblera pour alerter et orienter l’action des chefs d’État « pour le climat ». On se doit de relever l’optimisme du propos quand Donald Trump bannit le mot « climat » du vocabulaire des États-Unis, remet en cause la recherche scientifique, lève le tabou sur la recherche pétrolière en grande profondeur etc.
Renaud Muselier, président de la région Paca, qui voit la région Sud-est « aux avant-postes de la sauvegarde des écosystèmes marins », y réfléchit aussi sans doute et on ose espérer que cette inquiétante réalité ne sera pas occultée pendant le sommet.
C’est en tout cas autour de cet événement qu’a été pensée cette nouvelle biennale sur le thème « La mer autour de nous », avec le commissariat général d’Hélène Guenin et Jean-Jacques Aillagon, et la volonté d’orchestrer une traversée des temps et des imaginaires comme d’évoquer les menaces grandissantes sur les océans.
On va ainsi, avec le musée de la Préhistoire Terra Amat, des conditions de l’installation des hommes préhistoriques, il y a 400 000 ans, sur une plage au cœur de la Nice d’aujourd’hui, à la découverte au musée d’Archéologie du patrimoine sous-marin avec les multiples fouilles des épaves antiques comme du Casino disparu pendant la Seconde Guerre mondiale. On découvre, bien sûr, à la Villa Masséna, une histoire brillamment illustrée par de nombreux documents, peintures et aquarelles, de la ville de Nice.
La question de la pollution plastique
Le musée de la Photographie Charles Nègre propose une exposition consacrée aux travaux de Laurent Ballesta, photographe et biologiste qui a dirigé déjà huit missions d’exploration des fonds marins ayant donné lieu à des documentaires pour Arte et National Geographic.
Le même musée a ouvert sa galerie à la photographe Manon Lanjouère, qui a exploré les ravages du plastique dans les océans. Huit millions de tonnes par an se décomposant en minuscules particules échappant à toute récupération avec leurs conséquences pour la faune.
Plus de vingt artistes interviennent à la Villa Arson, la grande école d’art de Nice, en liaison avec la Fondation Tara, et présentent « Becoming ocean : A social conversation about the Ocean » (Une conversation sociale à propos de l’océan). Le lieu appelé le 109, présente une installation d’Ugo Schiavi et ses étranges créatures marines animées…
Marathon d’expositions
Au musée Jules Chéret, les céramiques et faïences « rococo contemporaines » de Racca Vammerisse (semblant parfois évoquer des végétations marines) voisinent avec les peintures dingues de Gustave-Adolphe Mossa… Un marathon d’expositions auxquelles il faut ajouter les installations en extérieur de Laure Prouvost avec une très grande pieuvre qui semble émerger d’une pelouse, du duo Choi + Shine qui a installé sur la promenade un squelette d’oursin de 9,5 mètres de diamètre réalisé avec des cordages tressés.
Mais c’est bien sûr, on y revient, par l’exposition Matisse qu’il faut commencer. C’est en 1917 qu’il s’est installé à Nice de façon quasi définitive, si l’on excepte ses nombreux voyages, dont celui qu’il fit en Polynésie où il avait rencontré le réalisateur Friedrich Murnau qui y tournait Tabou.
Matisse a-t-on dit n’a jamais peint la mer. C’est dire que jamais il n’a voulu la représenter. Picasso non plus d’une autre manière quand il peint ses personnages devant la mer dans la Flûte de Pan. La peinture pour les grands peintres est une chose mentale. La Méditerranée est une histoire, des mythes, des rêves, aujourd’hui aussi un tragique cimetière marin et parfois une déchetterie.
Catalogue Matisse Méditerranée(s), coédition In fine éditions d’art et le musée Matisse Nice, 220 pages, 39 euros.
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