La face lumineuse du roman noir américain

Invité de Nicolas Mathieu et du Livre sur la Place, le romancier américain a répondu à nos questions quelques jours avant de devoir annuler sa traversée de l’Atlantique pour raisons climatiques.

Vous dites souvent que se tourner vers les arts, la littérature, donne un sens à la vie. Est-ce que la littérature est pour vous un remède ?

William Boyle : « The Things They Carried de Tim O’Brien m’a profondément marqué lorsque je l’ai lu pour la première fois au lycée et il reste aujourd’hui l’un de mes ouvrages préférés. O’Brien y écrit que “les histoires peuvent nous sauver”, une idée qui m’a toujours profondément touché. Alors oui, je me tourne vers la littérature, en tant que lecteur autant qu’écrivain, pour chercher des réponses, pour donner du sens, en construire, et tenter de comprendre un monde qui, bien souvent, semble dénué de toute logique. »

En 2023 dans Éteindre la lune, les personnages ont pris beaucoup de vous : Francesca voudrait faire des films, comme vous. Lily veut écrire, comme vous. Vous nourrissez toujours vos personnages en puisant en vous ?

« Oui, c’est plus particulièrement vrai – semble-t-il – avec les personnages plus jeunes que je dessine. Il m’est facile de replonger dans ces souvenirs où je me sentais perdu, enfermé, débordant de rêves et en quête de sens. J’aimais les livres – c’est ce qui m’a donné envie d’en écrire – mais je ne connaissais personne issu de ce milieu, personne qui nourrissait ce genre d’ambitions. C’était pareil pour le cinéma, même si j’ai vite compris que trop d’obstacles rendaient ce monde hors de portée pour moi. Des personnages comme Francesca et Lily sont en quête d’identité. J’aime retourner à cet endroit et me souvenir. Avec l’âge, je trouve aussi plus naturel de me glisser dans la peau des personnages plus âgés, surtout quand il s’agit de thématiques comme la parentalité ou le deuil. Il y a aussi beaucoup de moi dans Jack. »

« Les Français apprécient la noirceur »

Pourquoi Brooklyn est-il le lieu idéal de vos romans policiers ?

« C’est le lieu que je connais le mieux, celui vers lequel je reviens à chaque fois que je me mets à écrire. J’écris ma propre version de ce lieu, une sorte de “Brooklyn de l’âme” (pour reprendre les mots employés à propos du grand Hubert Selby Jr.). J’essaie parfois d’imaginer d’autres décors pour mes histoires mais, la plupart du temps, cela me paraît impensable : c’est ici que mon écriture prend racine et c’est ici que j’écrirai pour toujours. »

Dans une interview, vous avez déclaré que votre relation avec vos lecteurs français était de plus en plus forte. Comment expliquez-vous cette proximité ?

« Il existe une longue tradition de lecteurs français qui s’emparent d’écrivains américains négligés et/ou oubliés dans leur propre pays. J’ai grandi avec ce mythe. C’était vrai pour bon nombre des auteurs que j’admire – Jim Thompson, David Goodis, Chester Himes, Charles Willeford, même William Faulkner, et bien d’autres encore. Je pense que plusieurs facteurs l’expliquent : la culture littéraire est, à bien des égards, plus vivante et valorisée en France. Les lecteurs français sont aussi moins friands des récits formatés, sentimentaux ou trop lisses, qui séduisent davantage le public américain. Les Français apprécient la noirceur, le cynisme, et n’ont pas “besoin qu’on leur propose quelqu’un auquel s’identifier”. Ils lisent aussi pour comprendre, pour explorer un autre regard sur un lieu, ce qui est à la fois essentiel et précieux. C’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles mon travail résonne là-bas : il est en grande partie ancré dans un lieu. »            

Interview Pascal Salciarini et Jordan Cure-Heaton