Par

Antoine Grotteria

Publié le

26 mai 2025 à 20h36

Il pose un regard tendre vers Elizabeth II. Vêtue d’une tenue bleue en accord avec le ciel, la reine d’Angleterre observe avec intérêt le plus long match de l’histoire. À quelques mètres d’elle, Jean-Loup Coignard pénètre dans un univers d’hypnose, nanti d’un appareil photo en bandoulière. La balle l’aimante autant que la présence de la monarque. Nous sommes en 2010 à Wimbledon. Nicolas Mahut et John Isner ferraillent depuis trois jours sur l’herbe du Grand Chelem londonien. Aucun des deux jours n’est enclin à lâcher son service. L’ordinaire d’une rencontre placée sur un petit court se transforme alors en singularité. Les personnalités publiques se pressent dans les tribunes pour assister à cette curiosité finalement remportée 70 à 68 à la cinquième manche par l’Américain. « J’ai donné un exemplaire à Nicolas Mahut, ça l’a un peu réconforté », sourit Jean-Loup Coignard, assis sur une élégante banquette dans son grand appartement du 6e arrondissement de Paris, rue d’Assas. Le précieux album photo, impeccablement conservé, ne forme qu’un échantillon de son immense collection de pièces retraçant l’histoire du tennis.

300 à 400 raquettes de l’invention du tennis à aujourd’hui

Quand certains tapissent leur mur de peintures classiques, ce fondateur d’un cabinet de transaction d’officines de pharmacie le recouvre d’œuvres représentant des joueurs. Quand certains remplissent leur bibliothèque de livres d’auteurs classiques, lui accumule les bouquins sur l’histoire de ce sport bourgeois, ancêtre du jeu de paume. Quand d’aucuns se débarrassent de vieux instruments en bois, lui aligne les raquettes de toutes les époques.

« Cela a commencé avec une vieille boîte de balles des années 1960 », rembobine l’homme âgé de 78 ans, coiffé d’une crinière blanche. « Aujourd’hui, j’en suis à une vingtaine de tableaux et 300 à 400 raquettes. Mais il y en a seulement une centaine de belles », précise-t-il. Le collectionneur confesse ne pas se définir comme « un adepte de l’esthétique », mais se targue de posséder de « rares pièces, encore bien dans leur jus ».

La Reine d'Angleterre, Elizabeth II, dans l'objectif de Jean-Loup. Un souvenir gravé dans un album.
La Reine d’Angleterre, Elizabeth II, dans l’objectif de Jean-Loup. Un souvenir gravé dans un album. (©AG/ actu Paris)

De sa besace, il extrait aisément une vieillerie de la fin du 19e siècle. Le tamis semble noyé dans l’immensité du manche en bois.

« C’est la plus ancienne raquette de ma panoplie. Mais comment faisaient-ils pour jouer avec ça ? »

Jean-Loup Coignard
Un collectionneur de tennis

Malgré son attachement à tous ces « vestiges », ce dernier tient à montrer une raquette des premières années du 20e siècle.

Enrobée d’une housse fleurie, elle dispose d’un manche en bois fin, certainement empoignée par « une femme ». Autour, l’usure ne semble pas avoir affecté le matériau. Seules les cordes dégagent un sentiment de fatigue. Qu’importe. « C’est l’histoire qui se joue ici. Le tissu a certainement été travaillé par une personne. J’aimerais tellement pouvoir remonter le temps pour voir comment elle l’a confectionnée », commente-t-il.

Le modèle de la raquette de Yannick Noah lors de sa victoire à Roland-Garros en 1983.
Le modèle de la raquette de Yannick Noah lors de sa victoire à Roland-Garros en 1983. (©AG/ actu Paris)Des modèles révolutionnaires

Dans son logement, le sablier semble s’arrêter. Les époques s’entremêlent. Illustration avec le modèle utilisé par Yannick Noah en 1983 lors de sa victoire à Roland-Garros. Avec son cadre argenté, séparé en deux au niveau du « V », la raquette concorde avec un outil des années 1930. « On fait parler les ères entre elles, c’est génial », s’exclame le retraité.

D’autres raquettes de sa collection ont changé l’histoire du tennis. En 1978, Guillermo Vilas voit sa série de 53 victoires d’affilée sur terre battue interrompue par le fantasque Ilie Nastase à Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône). Cette défaite reste controversée. En cause, une raquette à double cordage utilisé par le Roumain qui engendre une puissante rotation de la balle, aussi appelée lift.

L'un des quatre Mousquetaires, Henri Cochet (à droite), est présent sur le mur de Jean-Loup.
L’un des quatre Mousquetaires, Henri Cochet (à droite), est présent sur le mur de Jean-Loup. (©AG/ actu Paris)

« J’en ai parlé à Georges Goven (capitaine de l’équipe de France de Coupe Davis et ex-joueur, NDLR). Il m’a dit que cela lui avait permis de battre des joueurs bien meilleurs que lui », relate Jean-Loup Coignard en brandissant la fameuse raquette. Plus tard, l’Association of Tennis Players (ATP) édicte une règle proscrivant ce type de boyau. Trente ans après, Rafael Nadal établit une nouvelle marque de référence avec 81 succès de suite sur l’ocre.

Pour parvenir à agglomérer ces reliques et relier les décennies, Jean-Loup Coignard fait montre d’une intense activité. Ses relations au sein du comité de Paris en tant que membre d’honneur et dans plusieurs clubs prestigieux de la capitale lui ouvrent des portes. Sa courtoisie et sa bonhommie se promènent également aux Puces de Vanves, l’emblématique marché d’antiquité situé dans les Hauts-de-Seine.

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Une dévotion à Suzanne Lenglen

« Il y a peu de choses sur le tennis, mais il reste des choses. Je récupère des éléments au cul du camion. Et ça me permet de me faire connaître auprès des institutions », fait-il savoir, n’omettant pas de souligner sa collaboration avec le prestigieux musée de Wimbledon.

« En Angleterre, il y a un respect du jeu et de ses légendes beaucoup plus ancré qu’en France »

Jean-Loup Coignard

Parmi ces icônes, Suzanne Lenglen. « La Divine » aux huit Majeurs, née dans le 16e arrondissement, a beau avoir laissé son nom à la postérité à Roland-Garros, son empreinte se révèle plus puissante à Londres. « Quand on entre dans le musée de Wimbledon, il y a elle et Bill Tilden (Un Américain vainqueur de dix Grands Chelem en simple dans les années 1920 et 1930) », explique-t-il.

Une lettre rédigée par Suzanne Lenglen, soigneusement conservée par Jean-Loup Coignard.
Une lettre rédigée par Suzanne Lenglen, soigneusement conservée par Jean-Loup Coignard. (©AG/ actu Paris)

Éblouie par l’aura de la première star internationale du tennis féminin, Jean-Loup Coignard a écumé les marchés et les ventes aux enchères pour trouver trace de son passage. Avec succès. Le collectionneur a récupéré plusieurs lettres authentifiées de sa plume. « Elle a une écriture nerveuse. C’était dans son caractère », nous glisse-t-il en montrant une missive adressée à un « cher ami ».

Un siècle plus tard, Suzanne Lenglen est bien présente à Roland-Garros. Elle a conféré son patronyme à la deuxième plus grande enceinte du site. Ses exploits, ses jupes modernes à rebours des habits de l’époque, sont narrés dans les allées. « C’est une femme extraordinaire et pionnière », palabre Jean-Loup Coignard. Son souvenir ne risque pas de s’éteindre, alors que se déroule la 124e édition. Les étagères du collectionneur, eux, pourraient encore être garnies de nouveaux objets précieux.

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