Les riverains des quartiers nord de la cité des ducs observent une accalmie dans les violences qui ont marqué l’hiver, mais craignent que les guerres entre narcotrafiquants ne reprennent une fois la police repartie.

Même la maire socialiste de Nantes, Johanna Rolland, a fait le déplacement. Samedi 24 mai, l’animation bon enfant d’un «banquet citoyen» a égayé un tronçon de la route de la Chapelle, situé aux pieds des barres d’immeubles des quartiers nord. Quelques centaines d’habitants ont partagé un repas et quelques animations festives organisées pour «reprendre le contrôle» d’un secteur gangrené par le narcotrafic. Du pain bénit pour l’édile de la cité des ducs, qui défend depuis quelques semaines, quartier après quartier, le bilan de dix années passées à la tête de la sixième ville de France. «Merci pour ce beau moment de convivialité !», a-t-elle adressé aux organisateurs de l’événement. Quelques heures plus tard, après le départ de l’élue, les braillements nocturnes ont repris de plus bel. «Acab ! Acab !» – autrement dit, «Tous les flics sont des bâtards ».

Dans le quartier, rares sont les patrouilles des forces de l’ordre à ne pas être accueillies et suivies de vociférations antiflics. Autant de cris qui permettent aux trafiquants de suivre les fonctionnaires à la trace. Ces derniers temps, les hurlements ont fendu l’air des quartiers nord plusieurs fois par jour – contre deux ou trois fois par semaine, d’ordinaire. Des nuisances sonores particulièrement pénibles pour les riverains, contraints d’endurer ces gazouillis anxiogènes, effet secondaire des patrouilles. «C’est invivable. Les cris résonnent entre les tours et effraient les enfants. Dès qu’il fait chaud, la nuit, nous craignons d’ouvrir nos fenêtres», décrit Daniel, membre du collectif du 24 mai, à l’origine du banquet partagé du week-end. Paradoxalement, malgré les mugissements accrus, une accalmie règne sur le quartier, fait-il savoir, en résumant les échanges tenus lors du repas partagé du week-end.

«On a conquis le terrain, et on ne lâchera pas»

L’hiver dernier, les deux bandes rivales du quartier se sont laissées entraîner dans une spirale de règlements de comptes. Plusieurs blessés ont été pris en charge après des attaques à armes à feu. Des kalachnikovs ont été de sortie. Dans la foulée des violences, le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, s’est déplacé à Nantes en janvier, annonçant des moyens policiers accrus. Depuis, Daniel a senti la situation revenir au calme. «Le quartier est devenu plus appréciable depuis trois ou quatre mois. On voit davantage de policiers, tandis que les tirs de mortier et les rodéos se sont raréfiés», observe cet habitant du quartier. Jointe par Le Figaro, la direction interdépartementale de la police nationale (DIPN) confirme l’effort en cours. «Les patrouilles de nos compagnies d’intervention et des CRS occupent désormais le secteur 24 heures sur 24. Il s’agit de l’unique quartier nantais où le dispositif d’une présence continue a été mis en place. On a conquis le terrain, et on ne le lâchera pas», assure un porte-parole des forces de l’ordre.

L’embellissement, craint Daniel, pourrait n’être que passager. Les braillements des narcotrafiquants indiquent que leurs affaires ne se sont pas volatilisées et qu’eux, font profil bas. «C’est comme les rodéos sauvages : les jeunes attendent dix minutes que les policiers passent et reprennent aussitôt là où ils se sont arrêtés», note Daniel. Les réseaux criminels qui tiennent le quartier se sont professionnalisés, remarque-t-il, par ailleurs. «Les points de deal se sont “mexicanisés” en quelques années. Avant, ils étaient tenus par des marmots, des ados du quartier avec qui on pouvait parler. Aujourd’hui, les petites mains ne parlent pas français et dégainent leurs armes à feu  dès qu’on essaie de les approcher».

En parallèle à ce jeu du chat et de la souris entre trafiquants et policiers, le collectif du 24 mai poursuit son action au service des habitants des quartiers nord. Un café éphémère et itinérant a été créé pour tisser du lien social et collecter des témoignages de riverains. Une rencontre entre les responsables du collectif et les acteurs nantais de la tranquillité publique aura lieu en juin. Enfin, les habitants préparent une promenade de diagnostic, à l’automne, pour repérer les points d’amélioration de leur quartier. En attendant de prochains banquets citoyens. «C’est notre façon de défendre notre territoire, résume Daniel. Avec plein de bonne volonté». Contrairement à la kalachnikov, la fourchette pique, et ne s’enraie pas.