Quitter l’Allemagne, fantasme isolé ? Plus vraiment. Selon une enquête YouGov relayée par Die Welt, le 19 mai, près de 6 Allemands sur 10 (58 %) envisageraient sérieusement une expatriation, si leur situation le permettait. Ils sont 31 % à répondre “absolument” à la question, et 27 % “probablement”. Un chiffre en hausse, note le quotidien, qui souligne l’importance de ce glissement mental collectif.
Les motivations sont révélatrices du malaise ambiant : 61 % évoquent la situation migratoire, 41 % la récession économique, 29 % la montée de l’extrême droite. Une ironie s’impose : ce sont les électeurs d’Alternative für Deutschland qui sont les plus enclins à vouloir fuir le pays qu’ils prétendent vouloir “sauver” : “55 % d’entre eux répondent vouloir partir ‘absolument’”.
Et quand il s’agit de choisir une terre d’accueil, les Allemands restent majoritairement tournés vers des pays germanophones : la Suisse (30 %) et l’Autriche (23 %) arrivent en tête, suivies par l’Espagne (22 %) et le Canada (17 %).
Ce constat chiffré trouve un écho existentiel dans une tribune publiée par Der Spiegel. Depuis une île brésilienne, le journaliste Jochen-Martin Gutsch médite sur sa condition d’Allemand de l’Est, pris entre le désenchantement politique et l’attrait d’ailleurs :
“Peut-être est-il temps pour mon expatriation. Par la vieille route des nazis vers l’Amérique du Sud – mais en sens inverse.”
Entre souvenirs d’enfance à Berlin-Est, favelas et cocotiers, sa réflexion navigue entre ironie douce-amère et lucidité politique : “Je suis peut-être un gringo est-allemand dans le Sud global.” “Ma femme est née à São Paulo ; sa mère, une Brésilienne, a voyagé de Hanovre jusqu’à son Brésil natal pour l’accouchement. L’enfant devrait absolument avoir une deuxième nationalité. Pour tous les cas. Même trente ans après la fin de la guerre, la crainte d’une reprise du pouvoir par les nazis en Allemagne était encore grande”, écrit-il. Aujourd’hui, l’histoire semble pouvoir se répéter.
Le Nord global ne l’attire plus autant, mais Jochen-Martin Gutsch hésite encore : “Je reste pour l’instant ‘solidement indécis’, mais il est toujours bon d’avoir une porte de sortie.” Une conclusion à l’image de l’Allemagne d’aujourd’hui : inquiète, divisée et hésitante.