Tel-Aviv est-elle en train de perdre l’un de ses principaux soutiens historiques en Europe ? L’Allemagne durcit le ton ces derniers jours vis-à-vis de la politique menée par Israël dans la bande de Gaza, bombardée et assiégée, et où « la grande majorité des enfants sont désormais confrontés à une privation alimentaire extrême » comme l’écrivait l’Unicef en début de mois. Mardi 27 mai, Berlin et Helsinki ont annoncé vouloir « mettre la pression » sur le gouvernement israélien afin de permettre l’acheminement de plus d’aide humanitaire à Gaza, où pratiquement aucune denrée ne rentre depuis plusieurs semaines.

Après plus de deux mois d’un total blocage, Israël a laissé passer la semaine dernière des livraisons au compte-goutte dans l’enclave, affamée et dévastée par plus de 19 mois de guerre. « Ce que nous voyons dans la bande de Gaza n’est en aucun cas acceptable – les souffrances qui y sont causées, les tueries – il faut y mettre un terme », a dénoncé le chancelier allemand Friedrich Merz lors d’une conférence de presse en Finlande, après un entretien avec le Premier ministre Petteri Orpo. « L’aide humanitaire doit y arriver immédiatement, nous devons faire pression sur Israël pour que l’aide atteigne réellement sa destination », a ajouté Friedrich Merz, cité par l’AFP.

LIRE AUSSI : « Gaza est un théâtre sacrificiel » : face à Benyamin Netanyahou, l’avenir très incertain du Hamas

Le chancelier allemand avait déjà menacé lundi le gouvernement de Benyamin Netanyahou de ne plus continuer à le soutenir en raison de l’intensification de l’offensive militaire, alors que Tsahal a annoncé vouloir prendre le contrôle total de la bande de Gaza. « Ce qui s’est passé ces derniers jours ne me semble plus absolument nécessaire à la défense du droit à l’existence d’Israël et à la lutte contre le terrorisme du Hamas », a indiqué Friedrich Merz.

« Raison d’Etat » allemande

Ce changement de discours marque un tournant important dans la politique étrangère allemande, soutien historique d’Israël avec les Etats-Unis, et partenaire diplomatique de taille en Europe. Par son Histoire, l’Allemagne (dont le gouvernement nazi a été responsable de l’extermination de six millions de juifs pendant la Seconde Guerre mondiale), a élevé l’existence et la sécurité d’Israël au rang de « raison d’Etat ».

LIRE AUSSI : Marc Knobel : « Défendre le droit à la critique du gouvernement israélien, c’est préserver l’essence même du judaïsme »

Un principe que le nouveau chancelier Friedrich Merz (Union chrétienne-démocrate, CDU), en fonction depuis le 6 mai, a d’ailleurs tenu à réitérer dans l’accord de coalition qu’il a conclu avec les sociaux-démocrates (SPD) : « Le droit d’existence et la sécurité d’Israël font et feront toujours partie de la raison d’Etat allemande », indique-t-il. Au cours de sa campagne, le futur chancelier avait d’ailleurs promis « de mettre fin à cet embargo plus ou moins en vigueur contre les exportations d’armes à Israël », lors d’un discours le 23 janvier.

Peu après les élections fédérales, il avait également reçu le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou en Allemagne, et avait qualifié de « totalement absurde » l’idée que le dirigeant, visé par un mandat d’arrêt émis par la Cour pénale internationale, puisse être arrêté s’il venait dans le pays.

Glissement de l’opinion publique

Les relations entre Friedrich Merz et l’Etat hébreu se sont néanmoins refroidies depuis sa prise de fonction. L’attitude du chancelier semble aussi accompagner un moindre enthousiasme de l’opinion publique allemande à donner carte blanche à l’Etat israélien pour mener sa guerre à Gaza. Selon une étude de la Fondation Bertelsmann publiée au début du mois de mai, et repérée par Le Monde, seules 36 % des personnes allemandes interrogées expriment aujourd’hui une opinion positive à l’égard d’Israël – un pourcentage en recul de 10 points par rapport à 2021. Une proportion encore plus forte – 60 % – porte quant à elle un jugement négatif sur l’actuel gouvernement de Benyamin Netanyahou. En parallèle, le sentiment d’une responsabilité particulière de l’Allemagne vis-à-vis de l’Etat d’Israël s’estompe, elle aussi, seules un tiers des personnes interrogées étant d’accord avec cette idée.

LIRE AUSSI : La conquête de Gaza, le plan de trop d’Israël : « C’est un aveu d’échec »

Berlin n’est pas la seule capitale européenne à avoir durci le ton vis-à-vis de son partenaire israélien. Mardi, la présidente de la Commission européenne a de nouveau condamné le bombardement d’infrastructures civiles à Gaza : « L’intensification des opérations militaires d’Israël à Gaza, visant des infrastructures civiles – dont une école servant de refuge à des familles palestiniennes déplacées – et provoquant la mort de civils, y compris des enfants, est odieuse », a dénoncé Ursula von der Leyen, dont les condamnations accompagnent celles de plusieurs dirigeants européens ces derniers jours.