Par

Augustin Delaporte

Publié le

27 mai 2025 à 18h32

« 2025 s’annonçait génial ». Le 30 décembre 2024, Fanny, 36 ans et mère de deux enfants, pose la première pierre de ce qu’elle imagine alors être son nouveau projet professionnel : elle va devenir revendeuse à Paris pour « une influenceuse beauté à succès ». Pour se lancer, il ne lui reste plus qu’à effectuer des virements et ainsi acquérir son stock de produits, chiffré à 1300 euros.
Une somme qu’elle emprunte à sa mère, certaine que tout sera écoulé en moins de 24 heures. Mais cinq mois après le paiement, elle n’a toujours reçu aucun article et la situation s’est considérablement envenimée. Honteuse, elle a aussi caché la vérité à sa mère, qu’elle rembourse comme elle peut, au compte-goutte.

Le mirage de l’influenceuse à succès 

Il y a quatre ans, Fanny commence à suivre sur Instagram le compte Bymounamour, tenu par Hadja Mouna Diaby (dans la vraie vie). « Elle avait trois enfants et donnait des astuces pour s’organiser… Elle avait en parallèle son site, où elle vendait du savon noir d’Afrique de l’Ouest, notamment. Elle en mettait sur elle et sur ses enfants. C’était un produit qui n’était pas mis en vente en France, cela ressemblait à une super idée, il y avait plein de raisons pour que ça fonctionne. À ce moment-là, je la trouve hyper inspirante », rembobine la trentenaire.

Derrière le filtre des réseaux sociaux, les stories de Bymounamour dessinent progressivement les contours d’une entrepreneuse à succès, qui combine à merveille vie familiale et vie professionnelle. Fanny poursuit : « Petit à petit, elle a commencé à le commercialiser. Puis elle a arrêté de travailler, elle a ouvert son local, etc. Dans ses stories, il n’y a que des bons retours, avec des clientes qui montre le avant/après. Sa petite imprimante à étiquettes n’arrêtait pas, elle faisait des allers-retours à la poste… » 

Le succès de son entreprise paraît incontestable. Fanny a, d’ailleurs, déjà passé commande pour une robe, qu’elle a reçu, sans n’avoir rien à redire. Jusque-là, du moins. 

« Elle disait qu’elle croulait sous les commandes, qu’il fallait aller vite »

Mais courant 2024, la formule se renouvèle. Avec tout ce que ça impliquera pour des dizaines de gens ensuite. « Elle a changé de mari, refait trois enfants et déménagé à Dubaï. Certains clients ont commencé à se plaindre des délais et elle a fini par dire qu’elle allait mettre en place un nouveau modèle, parce que la logistique depuis les Émirats arabes unis était devenue trop compliquée », retrace Fanny.

Bymounamour va désormais faire appel à des revendeuses. Fanny se souvient :

Elle disait qu’elle croulait sous les commandes, qu’il fallait aller vite, que les places étaient limitées

Tout ce qu’il suffit de faire ? Lui acheter un stock de cosmétiques. L’influenceuse fera tourner les numéros des revendeuses à ses clients, dit-elle. Des précommandes seraient, même, déjà en attente. Il n’y aura plus qu’à gérer, individuellement, la logistique à la réception des produits et le tour sera joué. « Je me voyais déjà prendre un nouveau stock chaque mois », retrace Fanny. 

« Je me dis que si ça marche bien, je pourrais me servir de sa clientèle »

D’un point de vue personnel, elle est pleinement engagée. « J’étais au chômage et je cherchais des idées ici et là. Quand cette opportunité arrive, je ne vois pas le risque. Je suis persuadée que le stock va s’écouler très vite, peut-être en moins de 24h. Je me dis que si ça marche bien, je pourrais me servir de sa clientèle pour vendre d’autres choses. Je ne le vois pas comme un one shot, c’est un vrai projet dans ma tête. » 

Fanny rentre en contact avec Bymounamour, via messages privés sur Instagram, puis échange avec elle sur WhatsApp. Il ne reste plus qu’à trouver 1300 euros pour son pack de démarrage. « J’ai toujours réussi à me loger à Paris, mais je n’ai pas suffisamment pour avoir cette somme qui dort quelque part… », rejoue-t-elle avec amertume. Elle la demande donc à sa mère, certaine qu’elle l’aura remboursée rapidement. Les événements prendront cependant une tournure bien différente de ce qu’elle avait envisagé. 

« Aucun client n’a appelé »

« J’ai fait deux virements le 31 décembre 2024, pour une somme totale de 1 300 euros et 200 produits. Cela se passait sur la plateforme Ziina. J’ai rentré ma carte bancaire, etc. Je devais recevoir les articles sous 15 jours. En me projetant, je me dis alors que 2025 va être génial », raconte Fanny. C’était avant de déchanter. Le délai dépassé, elle n’a toujours rien reçu. Et aucun client n’a appelé… L’inquiétude commence à se faire ressentir. 

« Mouna avait créé un groupe sur WhatsApp, où elle avait mis toutes les revendeuses. On était des dizaines et tout le monde a commencé à se poser des questions », continue-t-elle. Une petite vingtaine seulement avait reçu les produits, mais elles celles-ci n’avaient rien vendu. Quelques-unes trouvaient le temps long et l’ont fait savoir, mais Mouna a changé les paramètres de la conversation pour être la seule à pouvoir écrire sur le groupe (…) On voyait qu’elle ajoutait de nouvelles revendeuses, alors qu’on avait toujours rien. » 

« Ils ne voient pas l’envers du décor, la différence entre Instagram et la réalité »

Les jours défilent et Fanny revient à la charge à chaque 30 du mois : « J’ai fini par créer un second groupe, avec toutes les revendeuses, mais dans lequel tout le monde pouvait écrire… Mouna l’a très mal pris. Elle m’a supprimé du premier groupe et s’est moquée de moi. En parallèle, dans une story qu’elle a posté la semaine dernière [mi-mai 2025], elle pleurait, disait qu’aujourd’hui elle était endettée à hauteur de 150 000 euros, que pour s’en sortir elle allait relancer son site… Sur Instagram, les gens l’ont encouragé, en lui disant qu’ils lui envoyaient de la force. »

Ils ne voient pas l’envers du décor, la différence entre Instagram et la réalité d’une entreprise qui vire de son groupe une revendeuse du jour au lendemain.

Fanny

C’est ce qui a poussé la jeune femme à témoigner. « Moi, je n’ai plus d’espoirs. Même si je finissais par recevoir les produits, je n’en voudrais plus. Mais je trouve ça incroyable que l’arnaque continue depuis Dubaï. Je pense qu’au départ, ça n’était pas de la mauvaise foie, mais qu’elle a été complètement dépassée… » 

« J’ai trop honte pour lui (à sa mère) en parler »

Elle a aussi fait une demande de litige auprès de Revolut, en plus de préparer une plainte qu’elle va bientôt déposer et envoyer aux Émirats arabes unis. « Pour le litige, Ziina a refusé la première demande, mais je l’ai réitéré. J’ai aussi imprimer tous les papiers pour la plainte… Plusieurs filles vont aussi déposer une plainte collective avec le collectif d’aide aux victimes d’influenceurs (AVI) ».   

Quant aux sous empruntés à sa mère, Fanny n’a pas réussi à lui dire la vérité : « J’ai trop honte (elle se répète plusieurs fois), c’est une somme énorme… Je vais la rembourser, j’ai déjà commencé, mais je n’ai pas envie de lui raconter ce qui s’est passé. » 

Suivez toute l’actualité de vos villes et médias favoris en vous inscrivant à Mon Actu.