Ce n’est peut-être qu’un répit, mais la pression qui retombe d’un coup à 15 heures fait s’étrangler la voix de Bastien Vivès à la sortie de la salle d’audience. «Oui, je suis quand même soulagé, je n’avais rien à faire ici.» Ici, c’est-à-dire à Nanterre, dans la 20e chambre correctionnelle dévolue aux violences sur mineurs. Or, demandait ce matin Me Richard Malka, avocat du dessinateur de 41 ans et des éditions Glénat accusés par plusieurs associations d’avoir réalisé et diffusé des dessins à caractère pornographique de mineurs : «Qu’est-ce qu’on fait à Nanterre ?» Aucun des prévenus n’a de lien avec les Hauts-de-Seine, si ? Après deux ans et demi de procédure, le tribunal judiciaire de Nanterre vient donc de constater que… non, en effet, aucun lien. Un «gag», entend-on chuchoter.

A l’issue d’une matinée de confrontations essentiellement centrées sur des questions techniques de droit procédural, les magistrats ont fait droit aux demandes de nullité exposées par les avocats de la défense. Le tribunal s’est finalement déclaré incompétent (sur un plan territorial) à juger des œuvres du dessinateur mis en cause pour «fixation d’images ou de représentations pédopornographiques». La présidente, Céline Ballerini, a également appelé le parquet «à mieux se pourvoir», avant de lever l’audience. Pour l’heure, selon les mots de Me Malka : «Il n’y a donc plus de procès Vivès.» Les prévenus risquaient jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende.

Fin du débat ? Les parties civiles, quatre associations de protection de l’enfance (Face à l’inceste, Innocence en danger, Fondation pour l’enfance, l’Enfant Bleu), retournaient le soufflet aux défenseurs de la liberté d’expression : «La défense a-t-elle si peur des débats ?» Les questions sont pourtant passionnantes, embrayaient-elles : «Dans quelle mesure peut-on proportionner la liberté d’expression quand d’autres libertés [comme la protection de l’enfance, ndlr] sont en jeu ?» interroge Me Céline Astolfe, conseil de la Fondation pour l’enfance. Parmi les témoins de l’accusation, l’historien de l’art André Gunthert était venu en parler, ainsi que Véronique Béchu de la Brigade des mineurs. Me Malka aurait été ravi de «débattre» avec tout ce monde de l’éthique des représentations artistiques «autour d’une table. Vraiment, on n’attendait que ça. Mais au lieu de débattre, vous avez porté plainte».

A la sortie, Bastien Vivès insistait : lui aussi, bien sûr, trouve très intéressante la question de la représentation des tabous et des limites à la liberté de création. Pour sa part, la seule limite qu’il se donne, c’est «l’incitation et l’apologie. Or, ce n’est pas du tout ce que je fais dans mes œuvres». Partant pour le débat, donc. Mais s’il doit avoir lieu à nouveau dans l’enclos judiciaire, commente-t-il, l’auteur souhaite qu’il puisse se tenir dans une chambre pénale adéquate.

Bastien Vivès, les éditions Glénat et les Requins Marteaux comparaissaient en effet devant la chambre correctionnelle dévolue aux violences sur mineurs, et non dans la 17e à Paris, par exemple, dévolue à la presse et aux œuvres. Une première dans l’histoire pour un artiste, insistait Me Malka, et une décision «lunaire» : celle-ci revenait à considérer un auteur de fiction comme un possible délinquant sexuel, alors qu’aucun fait ne l’en rendait soupçonnable.

Cette juridiction était donc moins à l’avantage de l’accusé, convenait auprès de Libé Me Delphine Girard, avocate de l’ONG Innocence en danger, partie civile dans le dossier. Mais l’accusation ne laissera pas dire pour autant «qu’on a choisi notre juge, avec lequel on serait connivent». A présent, seul le parquet de Nanterre peut décider de la suite de la procédure : classer le dossier ou saisir une autre juridiction. L’épée de Damoclès flottera donc encore quelque temps au-dessus de la tête des accusés. «Mais de toute façon, avec cette affaire, j’en ai pour toute la vie, déclare devant nous Bastien Vivès dans un sourire amer. Donc autant attendre un an ou deux de plus et être jugé dans de meilleures conditions. Aussi pour les autres auteurs qui seront attaqués.»

Mise à jour à 18 h 41 avec des informations supplémentaires.