L’Ukraine n’a pas attendu le chancelier allemand pour frapper le territoire russe. Friedrich Merz a annoncé lundi qu’il n’y avait « plus de limites de portée » pour les armes occidentales livrées à Kiev, libre de les utiliser pour frapper en profondeur dans le territoire russe. Que ce soit avec ses drones, ses petits avions équipés ou les missiles fournis par ses alliés occidentaux, l’armée ukrainienne a intégré depuis longtemps l’attaque de cibles stratégiques sur le territoire ennemi dans son dispositif de défense contre l’invasion de son territoire.
D’autant que Joe Biden avait déjà levé les restrictions de distance pour l’utilisation des ATACMS américains en novembre dernier. D’ailleurs, le chancelier a bien précisé qu’il évoquait simplement des levées de restrictions de portée déjà annoncées par certains alliés ces derniers mois, et non de nouvelles. La déclaration allemande ne change donc pas la donne mais permet de faire le point sur les capacités de frappes de l’Ukraine et sa tactique de ciblage.
Des armes de longue portée
L’armée ukrainienne dispose « d’un arsenal de frappes de précision en profondeur extrêmement varié », de plus ou moins longue portée et de manière plus ou moins destructrice, constate un expert des questions de puissance aérospatiale dont la fonction requiert l’anonymat. Parmi ce catalogue, elle a des stocks qui lui sont propres, sortis de ses usines, notamment des drones, devenus des armes indispensables dans la guerre russo-ukrainienne.
Volodymyr Zelensky se vantait en février dernier d’être à la tête du « leader mondial de la guerre par drones » avec une production de « 1,5 million de drones de différents types ». La cadence promet de s’accélérer en 2025 selon Forbes qui prévoit la fabrication de 4,5 millions de drones cette année. Certains d’entre eux ont une portée significative de 1.000 km voire 2.000 km comme celui qui a frappé une base aérienne russe dans la région de Mourmansk en août 2024. Des engins qui permettent donc à l’armée ukrainienne d’atteindre aisément le sol russe, jusqu’à Moscou. La capitale a d’ailleurs été plusieurs fois la cible de drones ukrainiens depuis le début de la guerre.
En plus des drones, il y a les « ULM dronisés avec des charges explosives et un pilotage automatique », ajoute notre expert. Il s’agit de petits avions de tourisme transformés en armes et capables de voler loin derrière la ligne de front. En avril 2024, une usine russe d’assemblage de drones Shahed située à plus de 1.055 kilomètres à l’intérieur du territoire avait ainsi été prise pour cible. Le pays qui investit pour s’armer devrait prochainement pouvoir utiliser un drone d’une portée de 3.000 km, a annoncé son président cité par The Kyiv Independent.
Des missiles occidentaux de faible portée
Ces drones et ULM modifiés volent loin mais manquent de puissance et de vitesse. Ils ont des « capacités à pénétrer les défenses adverses moindres », souligne l’expert des questions de puissance aérospatiale. « Un avion de tourisme modifié ça vole à moins de 180 km/h, ça se voit au radar comme un nez au milieu de la figure et ça ne peut pas voler trop près du sol en automatique », développe-t-il. Ces défauts le rendent très vulnérable « et les Russes en abattent la majorité ». Par ailleurs, leur capacité de porter des charges explosives est là aussi limitée. Ces engins ne seront donc pas adaptés pour détruire un poste de commandement ou une base aérienne.
Pour cela, il vaut mieux miser sur les missiles de croisière comme ceux fournis par les Etats-Unis (ATACMS), le Royaume-Uni (Storm Shadows) ou la France (Scalp). L’Ukraine fabrique aussi ses propres missiles, les Neptune. Les Scalp français sont, par exemple, des engins précis qui volent vite et de manière furtive, ce qui les rend particulièrement efficaces pour détruire des cibles de type bunker. « Le Scalp a été optimisé pour atteindre une certaine discrétion, l’objectif étant de retarder au maximum sa détection par un radar adverse, laisser le moins de temps possible à l’ennemi pour réagir, ce qui va ainsi permettre au missile de transpercer les lignes adverses et frapper son objectif », expliquait un officier de l’armée de l’Air et de l’Espace (AAE) à 20 Minutes en janvier dernier.
L’Ukraine s’est servi à plusieurs reprises de ces précieuses (850.000 euros le missile) munitions. Et avec succès notamment sur des postes de commandements ou des forces navales. « Des frappes bien réussies, bien planifiées, bien conduites » et un retour sur expérience très positif des armes occidentales, selon notre interlocuteur désirant l’anonymat. Les limites de ces missiles, ce sont leur portée. Ces fabrications occidentales de pays membres de l’Otan ne peuvent pas, en principe, dépasser les 500 km, selon le traité FNI signé en 1987. Un nouveau missile de croisière de fabrication ukrainienne, pas limité par le traité, a toutefois été annoncé par Volodymyr Zelensky. Le Long Neptune pourrait avoir une portée à 1.000 km « mais c’est encore expérimental », précise le spécialiste des questions de puissance aérospatiale.
Des cibles hautement stratégiques
Les drones et ULM restent des armes efficaces et utiles pour frapper des cibles lointaines et vulnérables. L’industrie, de manière générale, est toujours une cible intéressante, « surtout dans une guerre d’attrition comme celle qui est en cours entre l’Ukraine et la Russie, précise le spécialiste des questions de puissance aérospatiale. C’est toujours plus simple de taper un missile quand il est dans son usine que quand il est en l’air. » Autre objectif intéressant : les dépôts de munitions, par exemple, où tout explose quand une cible est atteinte.
Dans Moscou et ses alentours, il y a aussi des usines mais surtout, des symboles de pouvoir et dans une guerre, les messages symboliques ont leur importance. « Le but, c’est que la peur change de camp et montrer la vulnérabilité de l’adversaire », explique l’expert. En outre, « pour faire mal à la Russie, les Ukrainiens s’attaquent aussi à l’économie russe, donc aux infrastructures pétrolières », ajoute-t-il.
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Mais pour des objectifs militaires plus protégés, les missiles de croisière restent l’arme la plus adaptée et efficace. La question de l’état du stock aux mains de l’armée ukrainienne se pose. Beaucoup ont été utilisés. Alors la déclaration du chancelier Friedrich Merz soulève une question : l’Allemagne participera-t-elle, enfin, à l’effort occidental en fournissant ses missiles Thaurus à l’Ukraine ?