DÉCRYPTAGE – Les députés ont largement voté, ce mardi après-midi, les deux propositions de loi «fin de vie» visant à étendre les soins palliatifs et ouvrant une «aide à mourir».

C’est une «rupture anthropologique» pour les uns, un «nouveau modèle Français de la fin de vie» pour les autres. Une loi «d’abandon» des plus fragiles ou une loi «de liberté» pour choisir sa mort selon les camps. Après 50 ans de débats et de controverses, les députés viennent pour la première fois d’adopter un texte sur l’aide à mourir, légalisant le suicide assisté et l’euthanasie. La ligne rouge de l’interdit de tuer pourra être franchie avec l’inscription de l’aide à mourir dans le code de santé public. Si les débats peinent à épuiser la question vertigineuse de la fin de vie, les députés, eux, ont tranché. Au terme d’une séance notamment marquée par les larmes de l’écologiste Sandrine Rousseau à la tribune de l’Assemblée nationale, les deux propositions de lois «fin de vie», celle visant à étendre les soins palliatifs (560 voix pour 0 contre), et celle ouvrant «une aide active à mourir» (305 voix pour 199 contre), ont été adoptées ce mardi après-midi à l’Assemblée nationale.

Depuis deux semaines, les débats dans l’Hémicycle se sont déroulés dans un climat serein. Comme souvent sur les sujets sociétaux, une liberté de vote avait été donnée aux parlementaires dans chacun des groupes. La plupart ne se sont d’ailleurs pas privés pour en faire usage. Peu de groupes peuvent se targuer d’avoir fait le plein. À rebours d’une majorité de son groupe, le macroniste Charles Rodwell a par exemple voté contre. «Le délit d’entrave a été maintenu et les peines le concernant ont été doublées», regrette-t-il. Même chose pour l’élu du MoDem Romain Daubié, qui s’est aussi opposé. «Un des devoirs de la société est de protéger les plus faibles et notamment les personnes malades. Ce texte ouvre une porte dont on ne sait pas ce qu’il y a derrière», regrette-t-il.

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L’Insoumise Sophia Chikirou s’est quant à elle abstenue. «Je doute d’un point de vue moral sur les effets anthropologiques d’une telle loi, sur les effets délétères dans une société organisée par le capitalisme prédateur. Je doute aussi de la nécessité de légiférer au-delà de la loi actuelle qui permet déjà de répondre à la très large majorité des situations», argue la députée mélenchoniste, auprès du Figaro. Certains avouent quant à eux avoir changé d’avis – dans un sens ou dans l’autre – au cours des débats, en écoutant les arguments des uns et des autres. «À la base, j’étais plutôt contre mais je me suis laissé convaincre par les habitants de ma circonscription», témoigne par exemple le député macroniste de Paris, Sylvain Maillard.

Débats tendus sur les critères d’éligibilité à la mort

Malgré la volonté du président de la République de «regarder la mort en face», le texte a connu un parcours des plus chaotiques, marqué par la dissolution de l’Assemblée nationale et la scission du projet de loi originel en deux propositions de loi sur les soins palliatifs et l’aide à mourir. Le climat respectueux n’a pas empêché la bataille d’idée et de mots. Les termes «euthanasie» et «suicide assisté» n’ont pas fait leur entrée dans la loi au grand regret des opposants qui réclamaient davantage de clarté. Les expressions moins anxiogènes et moins clivantes d’«aide à mourir», ou «auto-administration» du produit létal leur ont été préférées. Mais c’est sur la question des critères d’éligibilité à la mort provoquée que les débats ont été les plus tendus. Ces derniers ont peu évolué au terme de deux semaines d’examen malgré de profonds désaccords sur «l’équilibre» du texte.

Les patients devront correspondre à cinq critères pour avoir accès à un produit létal : être majeurs et Français, atteints «d’une affection grave et incurable» qui engage «le pronostic vital, en phase avancée ou terminale» et présenter «une souffrance physique ou psychologique liée à cette affection». Enfin, ils devront être aptes «à manifester sa volonté de façon libre et éclairée». La première proposition de loi, dédiée au renforcement des soins palliatifs, est présentée comme un moyen de contrebalancer ce nouveau droit à une mort «dans la dignité».

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Un délit d’entrave

Dans la dernière ligne droite, avant le vote, c’est la question de la création d’un «délit d’entrave à l’aide à mourir» qui a créé le plus de remous. Ce dernier prévoit de punir le fait «d’empêcher ou de tenter d’empêcher de pratiquer» une euthanasie ou un suicide assisté par une peine de deux ans de prison et 30.000 euros d’amende. Pour le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, le texte franchit ainsi une «nouvelle limite» qui «n’est pas supportable». «Tendre la main à celui qui souffre est le propre de l’humanité. Est-ce que nous voulons vraiment d’une société qui condamne celui qui tente de redonner des raisons de vivre à celui qui n’en a plus ? Tout cela va beaucoup trop loin. On ne peut pas être coupable de compassion !», s’est-il ému sur les réseaux sociaux.

In fine, cet ensemble forme-t-il ce «nouveau modèle de la fin de vie» souhaité par Emmanuel Macron ? «C’est un nouveau modèle qui prend à la fois en compte l’aide à mourir et les soins palliatifs, approuve Jonathan Denis, président de l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité. Mais c’est aussi l’un des textes les plus restrictifs au monde en raison de ses critères sur la “phase avancée ou terminale” de la maladie et le “pronostic vital engagé”. De plus, les députés sont revenus sur le libre choix entre suicide assisté et euthanasie. L’auto-administration du produit létal sera la règle. La prise en compte des directives anticipées ne figure pas non plus dans le texte». 

Les soignants opposés au texte et regroupés au sein du Collectif Soins de vie jugent à l’inverse que la France vient de voter une des lois la plus «permissive» au monde sur la fin de vie. «Plus qu’une réponse à quelques situations de souffrances, cette proposition de loi instaure un nouveau droit qui va au-delà des situations de fin de vie», alerte ce groupement d’une vingtaine d’ordres et sociétés savantes. Avec les précédentes lois Leonetti de 2005 et Claeys-Leonetti de 2016 sur la fin de vie, la France avait su tracer un «chemin de crête singulier», fondé sur «les soins palliatifs», «le refus de l’obstination déraisonnable» et «le respect de la parole des patients», décrypte le juriste Laurent Frémont, co-fondateur du collectif Démocratie, éthique et solidarités (CDES). Aujourd’hui, la France «renie sa promesse de non-abandon et rejoint les quelques pays ayant transgressé l’interdit de donner la mort, poursuit-il. Et elle le fait en s’engageant d’emblée dans un texte extrémiste avec des critères larges et flous, une procédure expéditive et une coercition très forte à l’encontre des soignants».