Bucarest, Varsovie, Lisbonne : les résultats des dernières élections tenues aux quatre coins de l’Union européenne sonnent comme un avertissement. En Roumanie, après une campagne chaotique marquée par l’annulation du premier tour tenu en novembre de 2024, le parti d’extrême droite de George Simion a frôlé la victoire, obtenant 46,40 % des voix au second tour de la présidentielle. La Pologne, elle, retient son souffle pour le deuxième tour de sa propre élection présidentielle entre le nationaliste Karol Nawrocki et l’europhile Rafał Trzaskowski, arrivés au coude-à-coude le 18 mai 2025.

Le même jour, les élections législatives anticipées portugaises fracturaient le système politique en place depuis la chute de Salazar. Si le centre droit s’est maintenu au pouvoir, la gauche est arrivée à quasi-égalité avec la Chega (« Ça suffit »), formation d’extrême droite pouvant revendiquer 22,5 % des suffrages, contre à peine plus d’1% aux élections de 2019. Le bipartisme et la léthargie électorale de l’extrême droite caractérisant les cinquante dernières années de vie politique portugaise semblent bel et bien enterrés, comme l’a proclamé le chef de la Chega, André Ventura : « Nous n’avons pas gagné les élections, mais nous avons fait l’histoire ».

Une extrême droite qui se veut proche du président américain

Mais ces dernières élections ne se distinguent pas que par les percées de formations politiques longtemps marginales : André Ventura, George Simion et Karol Nawrocki ont tous affirmé à plusieurs reprises au cours de leur campagne leur soutien à Donald Trump. Le Polonais a même rencontré le président américain quelques jours avant le scrutin de mai 2025, tandis qu’André Ventura s’était rendu à l’inauguration de Donald Trump. George Simion, lui, n’hésite pas à s’afficher avec une casquette Make America Great Again (« Rendre sa grandeur à l’Amérique ») et résumait en ces termes sa vision avant le premier tour : « tout comme MAGA a gagné le pouvoir aux États-Unis, le mouvement Make Europe Great Again sera majoritaire dans les institutions européennes ».

George Simion avec une casquette Trump le 15 novembre 2024.   Photo by Daniel MIHAILESCU / AFP

Cet alignement idéologique sur les États-Unis de Trump soulève de nombreuses interrogations, alors que les sujets chers au président américain sont loin d’être au cœur du combat de toutes les extrêmes droites européennes. Si le RN et la Maison Blanche peuvent par exemple se retrouver sur le terrain de l’immigration, « les Européens n’ont pas la même problématique que les Américains dans leur rapport avec la Chine », rappelle ainsi Olivier Costa.

Vision du monde commune

« Les uns comme les autres sont lancés dans une guerre idéologique et culturelle contre les principes du libéralisme politique, de l’économie sociale de marché », pointe en revanche Thierry Chopin, docteur en science politique et professeur invité au Collège d’Europe. La détestation du progressisme commune aux extrêmes droites des deux côtés de l’Atlantique gomme ainsi les différences nationales, alors que le retour au pouvoir du président américain donne de l’élan à des formations longtemps restées très minoritaires.

Washington, de son côté, fournit un soutien d’autant plus appuyé aux extrêmes droites qu’elles peuvent l’aider à assouvir un de ses grands objectifs, le démantèlement du projet européen. « Trump n’a pas caché sa détestation pour l’Union européenne qu’il voit comme un projet contre les États-Unis », remarque Olivier Costa, directeur de recherche CNRS au centre de recherches politiques (CEVIPOF) : « de la même manière que les Soviétiques le faisaient dans les années 70, Trump se cherche des alliés en Europe pour essayer de démanteler l’Union européenne de l’intérieur ».

Un soutien parfois gênant pour la droite populiste

Cette aide américaine, pour autant, est loin d’être unanimement appréciée par toutes les formations politiques. « Je dirais que les partis d’extrême droite sont un peu embarrassés par Donald Trump », souligne Olivier Costa : « des partis d’extrême droite qui sont fondamentalement antisystème sont contents de bénéficier de l’appui de Donald Trump, qui leur permet d’exister davantage médiatiquement, et leur donne une forme de crédibilité internationale ».

En revanche, « pour les partis qui sont proches du pouvoir, comme le Rassemblement National, ou qui sont au pouvoir comme [le parti Fratelli d’Italia de] Madame Meloni, ça devient un peu embarrassant, parce que Trump est trop extrême dans certaines prises de position », juge le chercheur.

Cette ambiguïté a rarement été aussi perceptible qu’en février dernier : Jordan Bardella, invité pour prononcer un discours lors de la Conservative Political Action Conference, a finalement annulé sa participation après un geste assimilé à un salut nazi effectué sur scène par Steve Bannon, ex-conseiller du président américain.

Une Europe revitalisée par la crise ?

D’autant que le soutien américain, en plus d’embarrasser certains partis plus modérés, a jusqu’à présent eu des résultats contrastés : les alliés de la Maison Blanche ne parviennent pour l’instant pas à s’emparer du pouvoir suprême, que ce soit l’Alternative Für Deutschland (AFD) en Allemagne ou George Simion en Roumanie. Et les propos de ses collaborateurs peuvent causer des controverses nationales, comme lorsqu’Elon Musk a apporté un soutien appuyé à l’AFD, provoquant l’indignation du reste de la classe politique allemande.

« Je pense que Poutine et Trump en ont fait plus pour le projet européen en 3 ans que 20 ans de négociation », juge à ce propos Olivier Costa. Preuve en est le dernier Eurobaromètre, conduit entre janvier et février 2025, qui pointe vers un regain d’adhésion au projet européen. Selon ce dernier, 74 % des personnes interrogées pensent que leur pays bénéficie de l’appartenance à l’UE – « le meilleur résultat jamais enregistré depuis que cette question a été posée pour la première fois en 1983 », souligne le rapport.

« Depuis une petite dizaine d’années maintenant, chaque choc extérieur auquel est confrontée l’Union européenne, que ce soit le Brexit, la crise sanitaire ou la guerre en Ukraine, n’a pas favorisé une implosion de l’Union européenne : au contraire la cohésion européenne a été renforcée », pointe Thierry Chopin. Avec un risque : si l’extrême droite soutenue par Trump parvient à percer le plafond de verre, « les politiciens qui arriveront au pouvoir seront excessivement antieuropéens », alerte Olivier Costa.