Le Parlement allemand a définitivement adopté le 21 mars le plan géant d’investissements du chancelier Friedrich Merz visant à réarmer et moderniser le pays.
Concrètement, le gouvernement du Chancelier chrétien-démocrate Frederich Merz va desserrer le « frein à l’endettement », qui limite la capacité d’emprunt du pays, pour les dépenses militaires et pour les régions. S’y ajoute un fonds spécial – hors budget – de 500 Mds€ sur 12 ans pour moderniser les infrastructures et relancer la première économie européenne, dont 100 Mds€ affectés aux projets contribuant à la transition climatique.
Longtemps obsédée par la discipline budgétaire, l’Allemagne doit ouvrir les vannes pour refaire ses ponts, ses routes, son réseau ferré, ses écoles, ses hôpitaux… « Les investissements ont été négligés pendant trop longtemps et un grand nombre d’infrastructures allemandes sont en mauvais état », confirme Tim Lorenz, PDG des activités de proximité de Vinci Construction en Allemagne. Certains ponts sont tellement dégradés qu’ils doivent être fermés, notamment au cœur de la capitale allemande. Cette situation n’est plus tenable. »
La première économie européenne était en effet au 27ème rang mondial pour la qualité des infrastructures en 2024 dans le Global Innovation Index – contre le 12ème rang en 2020. Au moins 5000 ponts sont ainsi à rénover dans le pays, selon le ministère des Transports, et pour eux le besoin total d’investissement s’élève à 100 Mds€, selon un rapport récent de la fédération européenne d’ONG T&E (Transport & Environnement). Sur les autoroutes et les routes fédérales, un pont sur trois doit être réparé, voire entièrement reconstruit, selon l’étude.
Des réseaux à développer
Au-delà du génie civil, c’est également l’infrastructure réseau du pays qui est à moderniser. « Il y a 100 Mds€ annoncés au niveau de la transition écologique. De quoi parle-t-on exactement ? Est-ce que les grandes liaisons électriques nord-sud vont pouvoir émarger à ce programme ? », s’interroge Yves Metz, président d’Ingérop qui se développe depuis plusieurs années en Allemagne.
« Le réseau électrique est en cours de développement afin de permettre le transport de l’électricité générée par les éoliennes du Nord vers d’autres régions », poursuit Tim Lorenz. Nous avons trois agences en Allemagne qui sont spécialisées dans la planification et la construction de sous-stations électriques. Le secteur du génie civil en bénéficie, car il est nécessaire de renouveler les lignes électriques, tout en développant de plus en plus de réseaux de chauffage urbain et de géothermie. De plus, des travaux de rénovation des réseaux d’eau sont également en cours. Dans le domaine ferroviaire, d’importants projets de rénovation ont été lancés simultanément, et nous souhaitons y participer avec nos équipes spécialisées dans la construction de voies ferrées. »
Freins organisationnels
Alors que la première économie européenne risque d’encaisser une troisième année de récession d’affilée, le fonds spécial infrastructure pourrait ajouter un point de plus à la croissance dès 2026 puis 2 points par an par la suite, selon l’institut économique DIW. Holger Schmieding, analyste de Berenberg estime que le gain de PIB sera plus limité, de l’ordre de 0,3 point au cours des prochaines années.
En effet, l’Allemagne souffre de faiblesses organisationnelles. « De nombreuses institutions publiques n’ont pas les capacités et les compétences pour mettre en œuvre efficacement de grands projets d’infrastructure. Les capacités sont également limitées dans le secteur privé », faute de main d’oeuvre, souligne l’institut économique DIW. « Nous avons une pénurie de personnel qualifié dans la maîtrise d’ouvrage et l’ingénierie », confirmait récemment le maire de Brandebourg-sur-la-Havel Steffen Scheller, qui déplore également la lourdeur de la bureaucratie, de l’appel d’offre aux dossiers de subvention.
« Parmi les enjeux cruciaux, je citerai en premier lieu l’accélération de la planification », assure Tim Lorenz. « Les procédures de rénovation de ponts ou de routes en mauvais état durent parfois plus de dix ans ! Cela ne peut pas durer, et nous sommes d’avis qu’une à deux années maximum devraient suffire. L’administration doit mettre simultanément davantage l’accent sur la digitalisation. Le bâtiment ne pourra en effet gagner en productivité que si nos partenaires publics évoluent avec nous », confirme-t-il.
Des opportunités à saisir
Un état de fait qui pourrait profiter à Ingérop: « En Allemagne, il n’y a pas assez de personnel dans les administrations pour préparer les dossiers d’aujourd’hui, donc ne parlons même pas des dossiers de demain », confirme Yves Metz. « Des embauches seront-elles réalisées ? Ou alors des contrats avec des ingénieries privées seront ils signés, des contrats d’assistance à maîtrise d’ouvrage pour que ce soient les ingénieries privées qui préparent les dossiers de consultation de maîtrise d’œuvre ou de conception-réalisation ? Quel que soit le mode de contractualisation, une société comme Ingérop est prête à les accompagner. Nous maîtrisons le pilotage de projet ou Projektsteuerung en allemand. »
Dans tous les cas la croissance devrait profiter aux entreprises de construction. « Effectivement, nous envisageons une croissance, dont l’ampleur dépendra désormais de l’organisation du fonds spécial », assure Tim Lorenz. « Nous estimons que c’est le secteur des ouvrages d’art (génie civil et ponts) qui progressera le plus. » Mais attention toutefois : « pour nous comme pour l’ensemble de l’industrie de la construction, il est essentiel que les responsables politiques veillent à ce que les 500 milliards de fonds spéciaux soient définis comme des investissements supplémentaires, et qu’ils ne soient pas utilisés pour combler d’autres trous dans le budget », prévient Tim Lorenz. « Ce point a très souvent été évoqué au cours des dernières semaines dans les discussions autour du fond spécial. Le 21 mai dernier, lors du rendez-vous annuel de l’industrie, le nouveau chancelier Friedrich Merz semblait indiquer que ce fond spécial viendrait bien en sus du budget fédéral. Nous attendons maintenant des informations concrètes à ce sujet. »
Comment entrer sur le marché allemand
« C’est le moment de s’intéresser au marché allemand et de « germaniser » son approche en respectant les règles », explique Jean-Philippe Arvert, directeur de la zone Rhénane de Business France. « Il faut adopter une approche pragmatique des affaires, proposer des solutions réalistes et pratiques plutôt que des approches théoriques complexes. Les Allemands sont directs et factuels. Si l’entreprise française n’est pas encore en en Allemagne, Business France peut l’accompagner pour identifier des acteurs locaux permettant à l’entreprise allemande de renforcer son offre et de positionner le produit/service de l’entreprise française sur le marché. L’approche du marché allemand peut passer par une croissance externe ! Ainsi, les entreprises familiales représentent une opportunité considérable pour les investisseurs français. L’Allemagne présente de nombreuses reprises d‘entreprises. Selon l’IfM (Institut für Mittelstandforschung), près de 200 000 PME recherchent des repreneurs entre 2022 et 2026. Les entreprises françaises pourront profiter des opportunités qui vont se présenter. Si l’entreprise française a des partenaires allemands, elle pourra se positionner avec eux et apporter un complément dans l’offre. »