La décontraction ambiante contraste avec l’importance des annonces. Enfoncé dans un fauteuil, les jambes croisées, Friedrich Merz a mis à bas deux totems de la politique allemande lors d’une interview donnée lundi lors de Re:publica, festival numérique berlinois. « C’était surréaliste ! », témoigne une participante. « Ces deux déclarations coup sur coup faites devant un public de geeks avec des casques connectés, en train de faire la queue pour des burgers vegans. » Sur la scène, le nouveau chancelier allemand annonce qu’il ne « veut plus fixer de limitations à la portée des armes livrées à l’Ukraine ». Le soutien allemand à Kiev tourne autour des missiles de croisière Taurus, dont l’autonomie de vol dépasse les 500 km, supérieure au Scalp français, au Storm Shadow britannique ou à l’ATACMS américain, déjà projetés sur le front.
Sous des prétextes variés, du risque d’escalade au manque de contrôle sur les cibles, son prédécesseur Olaf Scholz s’était arc-bouté sur son « Nein » de frapper l’armée russe dans la profondeur. Revirement avec Merz, dont la volte-face irrite le Kremlin, qui l’a qualifié dans la foulée de « décision dangereuse ». Le ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov est revenu à la charge mardi en déclarant que « cette décision était prise depuis longtemps déjà ».
Alignement diplomatique entre Paris et Berlin
« La crédibilité de Merz est en jeu », dramatise le journal Bild. Le tout-Berlin bruisse de rumeurs sur une annonce officielle d’une première livraison ce mercredi lors de la visite de Volodymyr Zelensky, la première en Allemagne depuis octobre. Ou pas : Friedrich Merz a fait sienne la doctrine du président Emmanuel Macron sur l’ambiguïté stratégique. Dire les choses tout en laissant l’adversaire dans le flou. Ces “Taurus”, de l’ordre de 300 unités, ne sont pas, aux dires des spécialistes, de nature à changer la nature du conflit mais le symbole, l’unité européenne, compte. « Elle lui tient tellement à cœur », précise l’éditorialiste Mariam Lau du journal Die Zeit, « que cela lui faisait presque physiquement mal quand Merkel et Scholz restaient sourds aux propositions du président français ». Une unité de vues utile pour faire pression à la fois sur Vladimir Poutine et sur Donald Trump, que le chancelier doit rencontrer la semaine prochaine à Washington.
Plus inattendu, l’alignement diplomatique entre Berlin et Paris s’est étendu à l’offensive israélienne dans la bande de Gaza, jugée « insoutenable » par le quai d’Orsay. Lundi, pour la première fois, un chancelier allemand a émis des réserves sur le soutien inconditionnel de son pays envers Israël. Depuis la création de la République fédérale, le principe est comme gravé dans le marbre : à cause de sa responsabilité dans la Shoah et le massacre des Juifs d’Europe, l’Allemagne a fait de l’existence d’Israël sa propre « raison d‘État ».
Lundi, Friedrich Merz a obliqué : « Quand des limites sont franchies, quand le droit international humanitaire est violé, alors le chancelier allemand doit aussi dire quelque chose à ce sujet. » Et : « Ce que fait actuellement l’armée israélienne, franchement, je ne comprends plus dans quel but », sous les applaudissements du public de Re:publica. Une position partagée par 80 % des Allemands, selon un sondage de la télé publique ZDF publié vendredi. Pour autant, son gouvernement s’oppose encore à l’idée proposée par l’Espagne d’un embargo sur les armes livrées à l’État hébreu, toujours menacé par l’Iran.