Gabriel de France a 22 ans lorsque, avec 300 autres collègues de l’Arsenal, ils traversent la ville de Lorient, à pied, sous escorte allemande pour se rendre à la gare un jour de 1942. « Ils leur mettaient la pression, s’ils n’y allaient pas, on leur disait que les Allemands s’en prendraient à leur famille, ils n’avaient pas le choix que de se constituer prisonnier », explique son fils Patrick de France. Une fois arrivés en Allemagne, au port de Bremerhaven au nord du pays, proche de Hambourg, les prisonniers du Service de travail obligatoire (STO) vivent à quinze par baraques, pas ou peu chauffées, dans des camps fermés. Ils travaillent dix heures par jour et n’ont le droit qu’à un seul repas. À Lorient, Gabriel était charpentier de marine. En Allemagne, il apprend le métier de soudeur : « Ils étaient chargés d’assembler les sous-marins nazis qui arrivaient d’un peu partout en Allemagne par grandes pièces. Ils assemblaient les parties entre elles », poursuit Patrick de France. « Certains tentaient de les saboter, en ne faisant qu’une seule couche de soudure au lieu de deux, pour qu’ils coulent plus vite. »
Un ancien maire de Lorient parmi les prisonniers
Leur quotidien au camp se résume au travail dans des conditions qu’on imagine difficiles, mais « pendant les repas de famille, mon père nous racontait les moments positifs, les anecdotes qu’il avait vécues, comme lorsqu’un de ses chefs allemands, qui était communiste, l’avait projeté dans un fossé pour éviter les éclats d’obus et lui sauver la vie », explique-t-il. Au décès de son père, en 2015, Patrick de France a confié au service des archives municipales de la Ville de Lorient des dizaines de documents et de photos qu’il a retrouvés dans une boîte à chaussures. On y découvre le quotidien sommaire des prisonniers, leur lieu de vie, leurs parties de basket-ball, le dimanche, seul jour de repos, leurs petits concerts avec quelques instruments de musique autorisés et leur labeur du quotidien sur les chantiers navals : « Ils ont pu créer des liens, se faire des amis là-bas. Mon père est resté proche d’un certain Charles Le Samedy, dont une rue de Lorient porte le nom. Il a été 18 mois maire de Lorient, en 1951 ».
Des « déportés du travail » ignorés par la France victorieuse
Les prisonniers ont pu quitter l’Allemagne à la fin de la guerre, en 1945, après la bataille de Hambourg, port voisin de leur camp, pilonné par les Américains d’avril à mai de la même année : « De là où ils étaient, ils voyaient la ville en feu ». À leur retour à Lorient, un mois après leur arrivée, ils retrouvaient le travail « comme si de rien n’était ». La France n’a rien octroyé à ces prisonniers de guerre, alors, avec des dizaines d’autres anciens prisonniers, ils ont créé une amicale des « déportés du travail » à Lorient, « c’est ainsi qu’ils auraient aimé être reconnus » regrette Patrick de France. « Mon père n’était pas un héros, il n’a pas sauvé des vies, mais il a été déporté, et c’est important qu’on le reconnaisse » conclut-il. Le documentaire intitulé « STO : Les Oubliés de la Victoire », diffusé ce mercredi 28 mai sur France 3, se charge de donner à ces milliers d’hommes la place qu’ils méritent dans le roman national.
