Lors de la découverte de Néandertal il y a quelque 170 ans, sa lignée est apparue très différente de la nôtre. Les chercheurs ont alors pensé faussement que les Néandertaliens étaient des brutes primitives à peine plus intelligentes que des singes, de sorte que l’absence chez eux de cognition avancée avait entraîné leur extinction. Depuis, les indices se sont accumulés, qui suggèrent qu’ils avaient de nombreuses capacités cognitives en commun avec Homo sapiens, que l’on croyait auparavant propres à notre seule espèce : ils fabriquaient des outils complexes, produisaient de la farine et autres denrées, soignaient leurs maladies à l’aide de plantes, disposaient d’un langage symbolique et pratiquaient des rites funéraires.

En 2010, lorsque fut publiée une première séquence de l’ADN néandertalien, leur éloignement de notre lignée s’est encore réduit. Elle nous a en particulier appris que nos deux espèces se sont hybridées, de sorte que tous nos contemporains portent en eux une proportion d’ADN néandertalien. Depuis, de nombreux chercheurs ont exploré la façon dont l’ADN néandertalien affecte notre biologie, ce qui a radicalement changé notre compréhension non seulement de nos cousins disparus, mais aussi de l’espèce hybride que nous sommes.

Notre domaine de recherche – la paléogénomique clinique – n’en est encore qu’à ses débuts, et ses premiers résultats doivent être pris avec prudence. Pour autant, des recherches récentes soulèvent une possibilité fascinante : et si l’ADN néandertalien avait des effets profonds sur notre santé et sur le développement de notre cerveau ? Au-delà, l’ADN de nos cousins disparus façonne-t-il notre cognition, s’agissant de l’autisme notamment ?

De nouveaux résultats paraissent toutes les quelques semaines sur ces questions, et nous comprenons de mieux en mieux l’impact de l’ADN néandertalien sur notre biologie. On a ainsi découvert que certaines variations génétiques d’origine néandertalienne rendent leurs porteurs plus vulnérables à diverses maladies auto-immunes, tels le lupus érythémateux systémique et la maladie de Crohn. Certains des variants géniques néandertaliens affectent aussi l’interleukine-18, une molécule pro-inflammatoire secrétée par les cellules du système immunitaire, impliquée dans la prédisposition aux maladies auto-immunes. Des variations géniques néandertaliennes augmentent aussi le risque de développer une forme sévère de Covid-19, quand d’autres semblent au contraire protectrices. Il y en a encore qui sont susceptibles de jouer un rôle déterminant dans le développement des allergies. Des indices suggèrent même que l’ADN de notre espèce cousine pourrait être impliqué dans l’asthme, mais cette recherche est en cours.

De l’immunité à l’obésité

Des recherches ont aussi mis en évidence que l’ADN néandertalien a des effets au-delà du système immunitaire. Il pourrait influencer la couleur de notre peau et celle de nos cheveux, la coagulation sanguine, notre prédisposition aux maladies cardiaques et la manière dont nos cellules réagissent aux stress environnementaux, telles les radiations. L’ADN néandertalien est aussi susceptible de jouer un rôle dans notre risque de développer certains cancers de la peau et dans notre tendance à la carence en thiamine (vitamine B1), à l’obésité et au diabète.

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Dès lors, puisque l’ADN néandertalien a autant d’influence sur notre biologie, il est envisageable qu’il en ait aussi une, significative, sur notre cerveau. Cela peut sembler contre-intuitif, puisque des recherches avaient montré que cet ADN ancien est peu représenté dans les gènes liés au cerveau chez les humains actuels : ces derniers se trouveraient surtout dans ce que l’on nomme les « déserts d’ADN néandertalien », des régions du génome dénuées d’ADN néandertalien. Cela s’explique a priori facilement : les gènes liés au développement et au fonctionnement du cerveau sont si cruciaux qu’ils sont très largement conservés. L’introduction de toute nouveauté – celle portée par un variant de gène néandertalien, par exemple – y est vite éliminée par l’évolution. Toutefois, au cours de la dernière décennie, de nouvelles recherches ont révélé la persistance de certains fragments d’ADN néandertalien dans et autour de certains gènes liés au cerveau chez les humains modernes.

Les effets de cet ADN se manifestent dans l’ensemble du cerveau et des structures associées. Avec des collègues, Philipp Gunz, de l’institut Max-Planck d’anthropologie évolutive de Leipzig, a découvert que les personnes possédant un pourcentage plus élevé d’ADN néandertalien ont plus de chances d’avoir – notamment dans les régions pariétales et occipitales – un crâne légèrement allongé, rappelant celui de Néandertal. Cet allongement du crâne est parfois associé à des variants de gènes néandertaliens situés proches des gènes qui sont impliqués dans la production de neurones et la formation de la myéline, la gaine graisseuse qui isole les axones des neurones et facilite la transmission des signaux nerveux sur de longues distances. Cet allongement du crâne est aussi associé à des variants néandertaliens situés près du gène GPR26. Encore mal compris, ce gène semble avoir des effets antitumoraux et il est probablement aussi impliqué dans la régulation de la production de neurones et d’autres cellules du système nerveux nommées « cellules gliales », dont la fonction est de soutenir et de protéger les neurones.

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Les Néandertaliens avaient un crâne long et bas (à gauche), contrairement au crâne globulaire d’Homo sapiens (à droite). Les personnes qui ont aujourd’hui un pourcentage plus élevé d’ADN néandertalien sont plus susceptibles d’avoir un crâne allongé rappelant celui des Néandertaliens.

© Philipp Gunz/MPI EVA Leipzig

Vision et socialisation

Avec des collègues, Michael Gregory des Instituts nationaux de la santé (National Institutes of Health, États-Unis) a observé des différences dans la structure du cerveau, notamment dans les régions impliquées dans le traitement visuel et la socialisation. Les personnes possédant plus d’ADN néandertalien ont une connectivité accrue dans les circuits de traitement visuel, mais une connectivité moindre dans ceux liés à la cognition sociale. Cette observation intrigante suggère que dans la lignée humaine, il existerait une influence réciproque entre perception visuelle et compétences sociales.

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Point particulièrement notable, il semble que l’ADN néandertalien influence aussi la structure et la fonction du cervelet. Même si la plupart des neuroscientifiques ont tendance à relier cette région du cerveau à la mémoire motrice et à la coordination, elle est aussi impliquée dans l’attention, la régulation émotionnelle, le traitement sensoriel et la cognition sociale. Le cervelet joue aussi un rôle vital pour les systèmes impliqués dans la mentalisation, qui sous-tend de nombreux aspects de notre capacité à déduire les états mentaux d’autres personnes. En 2018, avec des collègues, Takanori Kochiyama, de l’Institut de recherche pour les télécommunications avancées (Advanced Telecommunications Research Institute), à Kyoto, a publié une comparaison des crânes néandertaliens avec ceux des premiers H. sapiens. Il en ressort que le cervelet néandertalien était nettement plus petit que celui des membres de notre lignée. Cette observation suggère que parmi les conséquences de l’ADN hérité des Néandertaliens figurerait, dans notre espèce, une variabilité significative dans la structure et la fonction du cervelet, et donc dans la cognition sociale.

La taille de la population a un effet considérable sur la transmission d’une mutation génétique, surtout si celle-ci est délétère. Dans une grande population, une telle mutation sera assez vite éliminée par le simple jeu des probabilités. Dans une petite population isolée, en revanche, telle la population néandertalienne, elle se propagera beaucoup plus probablement, un peu comme si elle était neutre (ni avantageuse ni délétère), et pourra même être conservée de façon permanente. Au fil du temps, les petites populations tendent ainsi à accumuler plus de mutations que les grandes, ce qui a pour effet de réduire le nombre d’enfants que leurs membres parviennent à élever avec succès, et cela expose ces petits groupes à un risque d’extinction. C’est bien pour cette raison que le fait d’épouser un parent proche – un cousin germain, par exemple – est devenu tabou dans la plupart des cultures humaines. Les cultures au sein desquelles cette pratique est tolérée présentent souvent des taux anormalement élevés de maladies récessives, ces maladies génétiques qui surviennent lorsqu’un individu hérite du même facteur de susceptibilité génétique que ses deux parents.

L’étude du génome néandertalien a montré que cette espèce cousine a subi une réduction drastique et prolongée de ses effectifs, en d’autres termes qu’elle est passée par un « goulot d’étranglement génétique ». Vers la fin de son existence – possiblement entre 50000 et 40000 avant le présent –, la population néandertalienne aurait chuté à environ 5 000 individus seulement, ce qui a entraîné une accumulation de mutations potentiellement délétères, avec son cortège de maladies récessives et la baisse de fécondité associée. Les fossiles néandertaliens du site d’El Sidrón, en Espagne, témoignent de ce goulot d’étranglement et de ses conséquences, puisque l’on y a trouvé treize individus étroitement apparentés présentant sur leurs squelettes dix-sept anomalies congénitales différentes…

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Il y a plusieurs dizaines de milliers d’années [entre 50000 et 45000 avant le présent principalement, ndlr], notre espèce s’est métissée avec celle des Néandertaliens, de sorte qu’elle a possiblement hérité de variants génétiques délétères. Est-il possible que certains d’entre eux, demeurés dans nos génomes, conditionnent aujourd’hui non seulement la taille et la forme de certaines de nos structures cérébrales, mais aussi notre propension à souffrir de troubles neurodéveloppementaux et psychiatriques ?

L’accumulation des indices recueillis à ce stade suggère que cela pourrait bien être le cas. Par exemple, des variants néandertaliens ont été associés au trouble dépressif majeur. Ce n’est peut-être pas une coïncidence si ces variants sont également liés à la détermination du chronotype, c’est-à-dire du fait d’être « du matin » ou « du soir ». Certains chercheurs avancent que les effets de l’ADN néandertalien sur notre chronotype, régulé par nos rythmes circadiens (l’horloge biologique), pourraient nous prédisposer à la dépression, car de nombreux troubles de l’humeur ont une composante saisonnière importante (par exemple, le trouble affectif saisonnier, un type de trouble de l’humeur dans lequel les symptômes apparaissent et disparaissent avec les changements de saisons).

ADN autisme gene neandertal héritage troubles mentaux

La comparaison de l’ADN de Néandertal à celui de très nombreuses personnes, affectées, ou non, de certains troubles du développement cérébral et troubles mentaux, a permis de relier certains de ces troubles à des variants génétiques issus de notre lointain cousin.

© Blue Andy/Shutterstock ; © Pour la Science

L’ADN néandertalien a aussi été associé à la consommation de substances telles que l’alcool et le tabac. Certaines variations de gènes semblent accroître la sensibilité à la douleur, poussant des individus à consommer davantage d’analgésiques. Enfin, un sous-ensemble de ces variants pourrait augmenter le risque de développer un trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH), même si ces mutations tendent à disparaître progressivement du génome humain moderne.

Le cas de l’autisme

Inspirés par ces constatations, nous avons décidé d’étudier la possibilité d’un lien entre ascendance néandertalienne et autisme. Notre intérêt pour cette corrélation est venu de la découverte de parallèles entre les réseaux de connexions cérébrales des circuits visuels et de traitement social des personnes non autistes à proportion plus élevée d’ADN néandertalien et les mêmes réseaux neuronaux chez les autistes. Ces derniers ont en effet souvent d’exceptionnelles capacités visuo-spatiales ; lors de tests cognitifs, ils repèrent facilement, par exemple, une forme cible perdue au milieu de nombreuses autres. Par ailleurs, leur cognition sociale limitée évoque la connectivité réduite observée dans ces mêmes voies neuronales chez les non-autistes présentant une forte proportion d’ADN néandertalien. Nous avons aussi noté que, tout comme les Néandertaliens avaient un cervelet plus petit que celui des premiers H. sapiens, ce qui a pu affecter leur cognition sociale, il est fréquent que certaines sous-régions du cervelet des autistes présentent un volume moindre.

L’abondance de données issues de la génétique, de la neuro-imagerie et de la reconstruction du cerveau nous a incités à nous demander si l’ADN des Néandertaliens pouvait influencer la susceptibilité à l’autisme dans les populations humaines modernes. Nos équipes respectives ont entrepris de répondre ensemble à cette question à partir de données génétiques disponibles sur les autistes et non-autistes à partir de grandes bases de données. Nous avons aussi examiné l’ADN néandertalien chez ces personnes selon leur origine ethnique. Ainsi, les personnes ayant des origines africaines tendent à avoir moins d’ADN néandertalien que les Asiatiques et les Européens, de sorte qu’il est crucial d’en tenir compte dans nos statistiques sur les autistes et les non-autistes.

Les chercheurs étudiant l’ADN néandertalien dans le génome humain moderne s’intéressent généralement aux petites variations génétiques entre différentes populations, ce que l’on nomme des « polymorphismes d’un seul nucléotide » (PSN ou SNP en anglais, pour single nucleotid polymorphism). Nous avons voulu étudier séparément les PSN communs et rares chez les Néandertaliens, car, d’une part, les variants plus rares sont plus susceptibles d’être nocifs et, d’autre part, ils présentent moins de chances d’être transmis à la descendance. Nous avons constaté que les autistes ont tendance à avoir plus de PSN néandertaliens rares que les non-autistes d’une même ethnie. Soulignons que les autistes n’ont pas nécessairement plus d’ADN néandertalien : en d’autres termes, ils ne sont pas davantage « néandertaliens » que les non-autistes. L’ADN néandertalien qu’ils portent comprend simplement plus de variants rares que chez ces derniers.

Nous avons aussi étudié les PSN influençant spécifiquement l’activité des gènes dans le cerveau. Nous avons pu identifier 25 régions du génome influençant des traits spécifiques, ce que l’on nomme des « loci de caractère quantitatif » (eQTL, pour expression quantitative trait loci en anglais) en génétique. Rappelons que le terme latin locus – loci au pluriel – sert en génétique à désigner une position précise sur un chromosome. Or nous avons constaté que ces 25 loci hérités des Néandertaliens sont surreprésentés dans les groupes d’autistes. Ainsi, environ 80 % des autistes blancs et hispaniques blancs atteints d’épilepsie sont porteurs d’un PSN néandertalien particulier dans le gène USP47, contre 15 % seulement dans le groupe de contrôle non autiste. Bien que la fonction de l’USP47 soit mal comprise, ce gène est provisoirement lié à l’épilepsie, souvent présente avec l’autisme.

Nous avons en outre découvert qu’une mutation du gène COX10, chez les personnes ayant des origines africaines subsahariennes, était plus fréquente chez les autistes que chez les non-autistes. Les animaux génétiquement modifiés afin que leur COX10 soit inactif ont tendance à présenter un déséquilibre fonctionnel entre l’activité des neurones excitateurs et celle des neurones inhibiteurs, ce qui est très caractéristique du trouble de l’autisme.

Des effets sur la connectivité

Nous n’avons pas encore d’idée claire quant à l’effet précis de tous ces PSN néandertaliens sur les autistes. Au sein de tous les groupes ethniques considérés dans notre travail, ils semblent influencer le développement de la maladie de façon mesurable. Nos recherches suggèrent que bon nombre des PSN rares hérités de Néandertal associés à l’autisme contribuent à l’orchestration de la connectivité neuronale, ce qui affecte la façon dont les neurones communiquent entre eux. Mais il reste à déterminer précisément comment ces variantes influent le développement du cerveau. Selon toute vraisemblance, il n’y a pas de réponse unique.

La génétique est un domaine extrêmement complexe. Même s’il y a déjà plus de vingt ans déjà que le génome d’H. sapiens a été séquencé, notre compréhension des réseaux moléculaires et de leur influence sur le développement et le fonctionnement des organes reste relativement rudimentaire. Dès lors, lorsque nous nous efforçons de comprendre comment l’ADN néandertalien influence nos gènes, il nous faut accepter la complexité du problème. Plus de 78 000 gènes sapiens [c’est-à-dire des séquences d’ADN codant des protéines ou de l’ARN, ndlr] se sont mélangés avec un nombre comparable de gènes néandertaliens. Nous savons aujourd’hui résoudre sans difficulté des problèmes en trois dimensions, mais cela devient extrêmement difficile lorsqu’un problème a 78 000 dimensions survient. Les ordinateurs modernes exécutant un code d’intelligence artificielle peuvent heureusement prendre en charge ce fardeau analytique.

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La première recherche que nous avons menée nous a permis de repérer de l’ADN néandertalien au sein de séquences ne représentant qu’environ 1 % de l’ensemble du génome humain. Par la suite, nous prévoyons d’analyser les séquences complètes du génome récemment mises à disposition provenant de familles humaines modernes, où une propension au trouble de l’autisme existe. En élargissant notre zone de recherche d’ADN ancien des gènes aux régions séparant les gènes – c’est-à-dire en dehors des séquences d’ADN codant des protéines ou de l’ARN –, nous pourrons étudier des millions d’eQTL, régulant l’intensité de l’expression des gènes un peu à la manière dont un interrupteur gradué module l’intensité de la lumière d’une lampe. Une fois les eQTL en question cartographiés en rapport avec les variants génétiques hérités des Néandertaliens présents dans les génomes humains actuels, nous pourrons savoir si l’ADN néandertalien modifie de manière mesurable l’expression des gènes.

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Pareille campagne de recherche devrait rendre possible l’identification des eQTL de la lignée néandertalienne impliqués dans la fonction et le développement non seulement du cerveau dans son ensemble, mais aussi de tissus et de régions cérébrales spécifiques, tel le cervelet. Nous verrons si H. sapiens a hérité des Néandertaliens de traits neurodéveloppementaux nouveaux, qui n’existaient pas dans notre lignée avant le métissage des deux espèces. Cependant, le scénario le plus probable est que l’introduction d’ADN néandertalien dans H. sapiens a modifié, mais n’a pas annulé ou remplacé, les mécanismes de contrôle génétique des troubles extraordinairement complexes que sont l’autisme, le trouble du déficit de l’attention et la dépression.

Si nous parvenons à identifier les voies exactes du développement neurologique contrôlées par les réseaux de régulation génétique mixtes Néandertal/sapiens, nous pourrons peut-être comprendre comment au moment du métissage l’ADN néandertalien a reconfiguré l’expression des gènes dans le cerveau. Ce type de connaissances pourrait avoir diverses applications thérapeutiques potentielles dans le domaine de la médecine personnalisée.

Un héritage persistant

Toutefois, nous ne nous intéressons pas seulement à l’ADN néandertalien. Il se peut que le phénomène du métissage en général contribue à la susceptibilité à l’autisme. Le trouble de l’autisme serait alors une sorte d’inadéquation génétique, si l’on peut dire. Si tel est le cas, nous pourrons nous attendre à ce que l’ADN d’autres cousins, tels les Dénisoviens, qui se sont aussi métissés avec les premiers H. sapiens, joue un rôle dans l’autisme et d’autres troubles neurologiques au sein des groupes ethniques actuels porteurs d’ADN dénisovien (Asiatiques et Amérindiens principalement). Dans nos futurs travaux, nous prévoyons de rechercher des indices éventuels de l’influence de l’ADN dénisovien.

À l’instar des variants néandertaliens liés au trouble du déficit de l’attention qui ont progressivement été éliminés du génome humain moderne, les variants néandertaliens rares dont sont porteurs les autistes pourraient aussi être éliminés du patrimoine génétique. Une partie de l’ADN rare de Néandertal est probablement en train de disparaître simplement en raison de ce que les généticiens des populations nomment la « loi des grands nombres », selon laquelle l’ADN peu commun et rare tend à disparaître lentement au sein des grandes populations, quels que soient ses effets sur les organismes. Mais d’autres séquences d’ADN néandertalien peuvent être rares parce qu’elles sont légèrement nocives, et affectent la capacité d’un individu à avoir des enfants et à transmettre son matériel génétique.

Des résultats suggèrent que les personnes autistes ont beaucoup moins de chances d’avoir des enfants que le reste de la population, même si certaines d’entre elles en ont. Toutefois, nous ignorons si leur taux de reproduction est faible parce que ces individus rencontrent des difficultés dans leurs relations amoureuses ou parce qu’ils sont plus susceptibles de souffrir de troubles liés à la santé, tels que le syndrome des ovaires polykystiques, qui affecte la fertilité. La réponse est probablement multifactorielle. Mais quelles que soient les raisons, moins de descendants signifie que moins de variants génétiques associés à l’autisme sont transmis au cours du temps. Alors, si ces variants ne sont pas transmis aussi souvent, pourquoi restent-ils dans le génome humain, même s’ils sont peu nombreux ?

S’agissant de l’autisme, la communauté médicale s’est traditionnellement concentrée sur les déficits et les difficultés que peuvent rencontrer les sujets atteints de ce trouble. Cette approche s’ancre dans la vision médicale du handicap dans laquelle les différences neurodéveloppementales doivent être traitées médicalement avec l’objectif de « réparer » des personnes handicapées, de gérer leur état et de normaliser leur comportement. Toutefois, le spectre autistique est aussi associé à des traits qui pourraient avoir été adaptatifs au cours de l’évolution récente du cerveau humain, par exemple la possibilité d’un traitement visuo-spatial amélioré, l’intérêt pour survivre d’avoir une grande intelligence, de la mémoire et une créativité exceptionnelle, entre autres…

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De multiples recherches génétiques ont montré que bon nombre des variants génétiques courants associés à l’autisme sont aussi liés à une très forte intelligence, à des capacités cognitives accrues et à la réussite scolaire.

En outre, les membres des familles comprenant des autistes sont plus passibles de faire carrière dans des domaines liés à la science et à la technologie et, selon notre récente étude, sont aussi susceptibles d’être porteurs de certains de ces variants néandertaliens rares. Par conséquent, bien que les autistes aient en moyenne un taux de reproduction plus faible, les membres de leur famille qui ne sont pas autistes (bien que potentiellement encore neurodivergents) contribuent à maintenir cet ADN dans le patrimoine génétique. En d’autres termes, même si certains facteurs évolutifs participent à l’élimination du génome humain les variants génétiques liés à l’autisme hérités des Néandertaliens, d’autres contribuent à les y garder !

Bien que nous ignorions si l’ADN néandertalien associé au trouble de l’autisme est aussi lié à l’intelligence, ou à la créativité, nous établissons peu à peu des liens. Si une telle relation existe, elle suggère que le métissage avec les Néandertaliens a affecté de multiples aspects de l’évolution du cerveau de notre espèce. L’ADN néandertalien n’est pas seulement une partie de l’histoire de l’autisme et d’autres troubles neurodéveloppementaux et psychologiques, il est au cœur de chacune de nos vies.

L’héritage génétique de Néandertal

20 % : Part, estimée par les généticiens, du génome néandertalien complet aujourd’hui dispersé sous la forme de séquences d’ADN plus ou moins longues dans les génomes des populations d’origine eurasienne (Européens, Asiatiques, Amérindiens, Océaniens).

220 000 avant le présent : Date estimée de la première hybridation d’H. sapiens avec H. neanderthalensis.

Entre 50 000 et 45 000 avant le présent : C’est la période durant laquelle a eu lieu le métissage principal entre H. neanderthalensis et H. sapiens, qui explique que les génomes de tous nos contemporains non africains contiennent tous entre 1 et 3 % d’ADN néandertalien (Européens : 1 à 2 %, Asiatiques : 1 à 2 %, Amérindiens