Un rapport de la Cour des comptes européenne souligne le manque de transparence du financement des ONG par l’UE, dont une partie significative sert aux actions de lobbying de différentes associations

Dans un rapport publié le 7 avril, la Cour des comptes européenne (CCE) dresse un constat sans appel sur le manque de transparence des financements accordés par l’Union européenne à des organisations non gouvernementales (ONG). Laima Andrikienė, membre de la CCE en charge du rapport, admet cependant que la situation « s’est quelque peu améliorée depuis notre dernier audit », même si elle reste encore « floue », car « les informations sur les financements accordés par l’UE à des ONG, notamment sur le lobbying, ne sont ni fiables ni transparentes ». Ces manquements sont d’autant plus préoccupants qu’on parle de sommes conséquentes : de 2021 à 2023, les ONG ont ainsi reçu pas moins de 7,4 milliards d’euros (4,8 de la Commission européenne et 2,6 des États membres) dans le cadre des principales politiques internes de l’UE, comme les politiques de cohésion, de recherche, de migration et d’environnement.

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Les projets de LIFE

Bien entendu, la totalité de ces montants n’est pas employée exclusivement pour du lobbying. En fait, il s’agit, en principe, d’actions de terrain menées dans les 27 pays de l’UE, comme par exemple un projet visant à « sauver cinq espèces d’oiseaux en danger critique d’extinction en Polynésie française », ou encore un projet « de protection du vison d’Europe en Charente et Charente-Maritime ». En effet, doté d’un budget de 5,4 milliards d’euros (pour la période 2021-2027), le programme LIFE – l’un des instruments financiers de la Commission européenne dédiés au soutien de projets innovants dans les domaines de l’environnement et du climat – nourrit quatre sous-programmes : « Nature et biodiversité », « Économie circulaire et qualité de vie », « Atténuation du changement climatique et adaptation » et « Transition énergétique propre ».

À cela s’ajoutent d’autres financements, toujours potentiellement utilisés pour
le lobbying, qui se chiffreraient
à une dizaine de millions d’euros

Cependant, certains de ces projets ne relèvent pas tant de la protection de l’environnement ou de la lutte contre les pollutions, mais davantage de la diffusion des injonctions de l’écologie politique. Tel est notamment le cas du projet « TogetherFor1.5 » qui « vise à aligner l’action climatique de l’UE sur l’objectif de 1,5 °C de l’Accord de Paris ». Bénéficiant d’un financement de 1,9  million d’euros, 14 ONG clairement militantes utilisent en réalité ces fonds dans des actions de lobbying.

Une dizaine de millions d’euros pour le lobbying

À cela s’ajoutent, selon les documents officiels de l’UE, d’autres financements toujours potentiellement utilisés pour le lobbying et l’activisme, qui se chiffreraient à une dizaine de millions d’euros. Ainsi, pour 2024, le programme LIFE a en effet alloué en tout et pour tout 15,5 millions d’euros à 34 ONG de la sphère écologiste « pour soutenir leur fonctionnement et leur capacité à contribuer aux objectifs environnementaux et climatiques ». À savoir une moyenne d’un peu plus de 450 000 euros par association – ce qui reste en soi des sommes non négligeables.

Ainsi, à titre d’exemple, Pesticide Action Network Europe (Pan Europe), la principale association antipesticides à Bruxelles, a reçu 319 000 euros en 2024, 311 000 euros en 2023 et 319 000 euros en 2022, sur un budget total de 760 000 euros pour 2023. Autrement dit, une proportion de 40 à 50 % du budget de Pan Europe a été assurée par des subventions européennes. Parmi les autres ONG bénéficiaires en 2024 de subventions de fonctionnement, et dont les mobilisations portent ponctuellement sur les questions liées à l’agriculture et l’environnement, on relève le Bureau européen de l’environnement à hauteur de 700 000 euros, idem pour les Friends of the Earth Europe et Health and Environment Alliance, et 496 000 euros pour l’Ifoam Organics Europe ou 510 000 euros pour Slow Food.

Pour justifier ces aides, la Commission européenne explique qu’elles permettent de rééquilibrer le rapport de force avec les lobbyistes issus du secteur économique, qui bénéficient en général de moyens financiers plus importants. En outre, les ONG écologistes assurant qu’elles tirent leur légitimité du fait qu’elles ne défendent aucun intérêt économique particulier, mais bien « l’intérêt général », il semble donc tout à fait normal qu’elles bénéficient de ces soutiens. Sauf que, comme le souligne l’eurodéputée Céline Imart, « contrairement aux entreprises, ces ONG ne sont soumises à aucune obligation de transparence comptable, tout comme on peut se poser la question de leur représentativité et de leur gouvernance ». Une situation d’autant plus anormale que la plupart des ONG citées ne cachent pas leur ambition politique d’instaurer une société décroissante et anticapitaliste.

Une aide sous condition

En outre, assurent des eurodéputés du Parti populaire européen (PPE), certaines de ces aides se seraient accompagnées d’une demande explicite de la Commission adressée à ces ONG de faire pression sur les membres du Parlement, afin de promouvoir le fameux Green Deal.

Certaines de ces aides seraient accompagnées d’une demande de la Commission à ces ONG de faire pression sur les membres du Parlement, affirment des eurodéputés du PPE

C’est en effet ce qu’a admis le commissaire au budget, Piotr Serafin, estimant qu’il était « inapproprié pour certains services de la Commission de conclure des accords qui obligent les ONG à faire du lobbying auprès des membres du Parlement européen de manière spécifique ». Affirmation contestée par l’ancien commissaire européen Frans Timmermans, architecte du Green Deal, qui a confié au site Euractiv que, sous son mandat, s’il avait été « toujours en contact avec les Green 10 » [coalition de dix des plus grandes ONG environnementales de l’UE], « la plupart du temps, elles m’ont critiqué en me disant que je n’en faisais pas assez… que je faisais des erreurs ».

Par ailleurs, il assure n’avoir jamais été impliqué dans les financements des ONG, puisque cela était exclusivement du ressort de l’ancien commissaire au Budget, l’Autrichien Johannes Hahn.

Toutefois, comme le note l’ancien eurodéputé allemand du PPE Markus Pieper, le fait même que certaines directions, notamment la DG Environnement, fassent pression sur les représentants politiques, en instrumentalisant des ONG et en utilisant l’argent des contribuables, le tout sans aucune transparence, demeure un véritable problème. « Nous insistons pour que les subventions de la Commission européenne soient mieux encadrées, avec un meilleur contrôle sur la véritable nature de ces ONG et sur l’utilisation des fonds accordés », ajoute Céline Imart.

Il serait cependant naïf de croire qu’un changement de pratiques dans l’attribution de ces subventions suffira pour impacter l’orientation de la politique européenne. Et cela pour plusieurs raisons. D’abord, parce que l’efficacité d’une ONG ne se mesure pas toujours à son budget. Ainsi, les Faucheurs Volontaires d’OGM et les Soulèvements de la Terre, quoiqu’ils disposent de peu de moyens financiers, ont réussi à peser lourdement dans les débats. De même, l’association Générations Futures, dont les dépenses annuelles s’élèvent à environ 350 000 euros, est parvenue à imposer son agenda antipesticides au monde agricole.

Ensuite, parce qu’il existe aussi à Bruxelles un certain nombre d’ONG – et pas des moindres – qui effectuent un lobbying sans avoir recours à des financements publics européens. C’est le cas, notamment, de structures actives dans l’opposition aux nouvelles techniques génomiques, comme Greenpeace EU, Corporate Europe Observatory (CEO), Testbiotech, l’Association européenne de l’industrie sans OGM (Enga) ou encore l’initiative Save Our Seeds. À leur propos, se pose de façon aiguë la question même de l’origine de leurs financements et de leurs motivations. C’est ainsi que CEO a reçu au cours de ces quinze dernières années 2,4 millions d’euros d’une fondation opaque basée au Liechtenstein, l’Isvara Foundation, tandis qu’Enga est domiciliée à l’Institut anthroposophique Rudolf Steiner ! De même, Save Our Seeds dépend directement de la nébuleuse anthroposophe (voir notre article « Les sulfureux anthroposophes au cœur du lobbying anti-NGT »). Et ces dernières sont toutes deux liées au business bien lucratif du « non-OGM ».

On ne peut pas faire peser toute la responsabilité de l’orientation de la politique environnementale sur ces seules ONG

Enfin, on ne peut pas faire peser toute la responsabilité de l’orientation de la politique environnementale sur ces seules ONG. Comme se plaît à le rappeler Frans Timmermans : « Le Green Deal n’a pas seulement été possible parce que le Parti populaire européen a participé à toutes les prises de décision et a voté en sa faveur… Il a souvent été revendiqué par le PPE comme son propre projet. » Il n’a pas tort, car un bon nombre d’eurodéputés, toutes familles politiques confondues, n’ont pas hésité, pour diverses raisons, à soutenir les thèses de l’écologie politique, sans en mesurer vraiment les conséquences.