Plus de huit millions : c’est le nombre de décès dans le monde chaque année liés aux maladies cardiovasculaires parmi les femmes, selon l’OMS. Responsable de près de la moitié de la mortalité féminine, en France, une femme a quatre fois plus de risques de mourir d’un infarctus que d’un cancer du sein. Ces maladies, première cause de décès chez les femmes, sont pourtant encore perçues comme masculines, alors qu’elles représentent la deuxième cause de mortalité chez les hommes, avec 40 %. Et chez les femmes jeunes non ménopausées, les cas ont augmenté de 25 % en dix ans.
À l’occasion de la Journée internationale d’action pour la santé des femmes ce 28 mai, 20 Minutes interroge Martine Gilard, professeure de cardiologie, président de l’association européenne de cardiologie et administratrice de la Fondation Coeur et Recherche.
Pourquoi les femmes sont-elles moins bien diagnostiquées et prises en charge face à l’infarctus ?
L’infarctus reste associé à une maladie d’homme. Il existe un déficit d’information massif, aussi bien chez les patientes que chez les professionnels de santé. Lorsqu’une femme est victime d’un infarctus, elle appelle les secours en moyenne trente minutes plus tard qu’un homme. Et dans les services d’urgence, le réflexe infarctus est souvent écarté, surtout si la patiente est jeune et non ménopausée. Les soignants ne vont pas chercher les bons signaux, ni poser les bonnes questions.
On a aussi longtemps répété que les femmes présentaient des symptômes différents. C’est faux. Dans plus de 90 % des cas, elles ressentent une douleur dans la poitrine, exactement comme les hommes. Règles, accouchement… On les a tellement habituées à considérer la douleur comme une chose banale qu’elles n’expriment pas ce qu’elles ressentent.
Quels signes devraient alerter davantage ?
À niveau de risque équivalent – tabac, obésité, hypertension –, une femme est souvent plus vulnérable qu’un homme. Il existe aussi des facteurs de risque spécifiques aux femmes, encore largement méconnus ou ignorés par les soignants : l’endométriose, la ménopause, le syndrome des ovaires polykystiques, ou encore les complications de grossesse comme la prééclampsie ou l’hypertension gestationnelle. Autant de signaux d’alerte qui devraient déclencher une vigilance accrue.
Les femmes sont toujours sous-représentées dans les essais cliniques. Résultat : on les traite comme des exceptions. Et ce retard dans les soins coûte des vies.
Pourquoi cette différence de traitement persiste-t-elle ?
Comme la médecine, la cardiologie est faite pour et par les hommes. Les protocoles ont été construits à partir de données masculines, les médicaments testés majoritairement sur des hommes, et les dosages pensés pour eux. Les femmes subissent donc davantage d’effets secondaires, arrêtent plus souvent leur traitement, et ne bénéficient pas d’un suivi adapté.
Même après un infarctus, elles sont moins nombreuses à accéder aux parcours de rééducation cardiaque, pourtant cruciaux. Parce que ces dispositifs ne tiennent pas compte de leur réalité : charge mentale, enfants, emploi du temps morcelé. Rien n’est prévu pour elles. La médecine reste pensée pour un homme disponible, sans contraintes domestiques.
Ce biais historique remonte aux années 1960, époque à laquelle on a commencé à exclure les femmes des essais cliniques pour éviter tout risque sur une éventuelle grossesse. Depuis, même les animaux de laboratoire sont souvent des mâles. Les hormones féminines sont vues comme un facteur de complication, une variable à écarter. Le résultat, c’est une médecine calibrée pour les hommes, et qui laisse les femmes de côté.