Mais encore une fois, il faudra apparemment attendre – cette fois-ci, jusqu’à une semaine environ – pour connaître le délibéré du tribunal de commerce de Saint-Etienne. Alors que le plan de continuation de Cybergun avec la société publique belge FN Browning n’aura finalement pas existé, cette dernière est « finaliste » aux côtés du forézien Rivolier pour reprendre et maintenir dans le bassin stéphanois l’activité de Verney-Carron.  

Verney-Carron. XAVerney-Carron devrait officiellement avoir un nouveau propriétaire d’ici que. XA

Ce n’est pas commun. Après analyse des offres de reprise respectives de Verney-Carron – objet d’une audience du tribunal du commerce de Saint-Etienne ce mercredi 28 mai –, la CGT, seul syndicat représenté dans le personnel, ne donne pas de préférence et préfère se prononcer, de façon collective « neutre ». D’un côté, la reprise proposée par le Forézien Rivolier (281 salariés, 130 M€ de CA consolidé), basée à Saint-Just-Saint-Rambert, distributeur, y compris de produits de Verney-Carron, d’armes de chasse, ainsi que d’armes et équipements pour les forces de l’ordre et l’armée : 55 emplois sur 67 existants maintenus. Offre d’ailleurs arguée par un communiqué spécifique. De l’autre, celle du fabricant d’armes belge, ETI propriété de la Région Wallonne, FN Browning (908 M€ de CA consolidé en 2023, 3 000 salariés).

Les deux comptent bien maintenir l’activité industrielle dans ses locaux actuels avant, peut-être, d’envisager de nouveaux cieux mais toujours stéphanois, sinon d’immédiate proximité. Rappelons que le cheminement administratif vis-à-vis de l’Etat et des collectivités locales pour créer un nouveau site n’est pas enterré mais seulement au congélateur. Tout comme l’éventualité de reconstruire sur place d’ailleurs… L’urgence n’est pas là : l’urgence consiste à redémarrer la production, honorer un carnet de commande loin d’être vide, comme l’entreprise est encore parvenue à le faire, certes marginalement, au chapitre sécurité intérieur et comme elle ne peut pas encore le faire côté chasse, 80 % de son activité. Les livraisons en vue de la prochaine saison devraient avoir commencé… Pas irrattrapables, à condition de mettre les bouchées doubles et environ 2 M€ immédiatement : pas que mais principalement pour s’acquitter des factures fournisseurs que ce redémarrage induit.

Aveu de « soulagement »

Une capacité d’investissement « d’urgence », bien sûr dans les cordes de Rivolier et FN Browning avant même de montrer patte blanche sur leur capacité à concrétiser de futurs modernisations et investissements conséquents pour pérenniser et amplifier la production de Verney-Carron. « Les deux plans ont leurs avantages mais aussi leurs inconvénients mas les deux sont solides, sérieux démontrant des capacités de développement avec des gens qui connaissent le métier : ça ne fait pas de doute, indiquent ce mercredi à If Pascal Darnon et Rémi Daffaut, représentants CGT. Il ne faut cependant pas oublier que quoi qu’il arrive, de 12 à 17 personnes vont perdre leur job en juin malgré tout. En espérant qu’une reprise d’activité puis son augmentation permettent leur retour, on pouvait espérer mieux. Parmi les salariés, les avis sont très variés vis-à-vis des deux plans : entre plus d’emplois d’un côté et plus d’argent, plus de capacité à investir de l’autre… » D’où « l’aveu », collectif, de « neutralité ».

Les deux plans sont solides, sérieux. (…) Mais il ne faut cependant pas oublier que quoi qu’il arrive, de 12 à 17 personnes vont perdre leur job en juin.

Représentants CGT de Verney-Carron

Autre aveu des syndicalistes : celui d’un « soulagement » en constatant Cybergun définitivement hors-jeu. Historiquement positionné sur le segment civil et récréatif (airsoft, airgun, etc.), le groupe avait pris le contrôle en 2022 de Verney-Carron, déjà en difficultés et jusque-là dans des mains familiales (d’ailleurs toujours là au niveau opérationnel) dans le cadre d’un processus de diversification vers le militaire et la sécurité intérieure. Mais il n’est pas parvenu à concrétiser ses promesses de développement. Faute de voir se concrétiser de la part de l’Etat et, en lien avec le parrainage, de ce dernier, de l’Ukraine les marchés attendus au niveau militaire. Faute d’une connaissance réelle du secteur, de métiers très particuliers et de la solidité, entre autres financière, à l’épreuve du feu que ceux-ci exigent, contredisent la CGT ainsi que d’autres acteurs stéphanois que nous avons progressivement interrogés sur ce dossier. C’était d’abord un plan de continuation qu’avait proposé en février son PDG Hugo Brugière impliquant déjà FN Browning prêt à reprendre 65 % des parts.

Une histoire de confiance

Ce plan n’aura finalement même pas été déposé au tribunal alors que, parallèlement, un plan de cession était lancé débouchant sur quatre dépôts d’offre le 5 mai. Les deux cités ci-dessus donc mais aussi celui de la PME Atalante Stratégic, basée en Bretagne, spécialisée dans la formation au maniement d’armes. Et d’un autre local : ACI (1 590 salariés, 35 usines en France), associé à Sofema, distributeur français de matériel militaire. Les deux se sont rapidement retirés ne faisant visiblement pas le poids face aux projets de Rivolier (lui-même associé au Tchèque RSBC) et de FN Browning. Ce matin, dans un communiqué, Cybergun annonce sans grande surprise soutenir le dossier belge « considérant qu’il s’agit de l’offre la mieux disante pour l’ensemble des parties-prenantes ». Le groupe se dit à disposition immédiate pour faciliter la reprise tout en prenant acte que la présentation de son « plan de continuation n’était pas possible faute d’avoir pu satisfaire aux conditions préalables ».

Il manquait tenacement ces fameux 2,5 M€ de cash pour y parvenir. 2 M€ ayant été obtenus par la vente des locaux à la Ville de Saint-Etienne, venue proposer son secours à la situation. Une promesse d’achat désormais caduque du fait de l’abandon du plan de continuation. Quant au reste de la somme, la sollicitation auprès du gouvernement au titre de sa volonté de réarmer le pays dans le contexte qu’il connaît, s’est heurtée à une fin de non-recevoir. Il semble que la confiance portée à Cybergun par plus d’une partie (des syndicats), se soit égrenée, peut-être pas aidée par ces révélations autour de son PDG de la part de nos confrères de L’Informé il y a un peu plus d’un mois. Nous avons essayé de contacter ce jour Hugo Brugière pour détailler son point de vue à ce stade, comme il l’a déjà fait précédemment dans nos colonnes mais ne sommes pas parvenus à le joindre.   

« Valeur refuge »

Ce n’est pas à Verney-Carron que l’Etat ne voulait pas prêter d’argent mais à Cybergun. 

Selon certaines sources « proches du dossier », « sa « campagne de presse » trop poussée et hâtive autour de ce rapprochement, effectif pourtant, a pas mal agacé les dirigeants de FN Browning. Comme il a lassé et agacé un peu tout le monde en s’avançant trop vite, à tous points de vue – sur le contrat avec l’Ukraine dont l’exécution n’était pas acquise par exemple – depuis la reprise de l’entreprise. Ce n’est pas à Verney-Carron que l’Etat ne voulait pas prêter d’argent mais à Cybergun. » Pas de quoi, cependant refroidir pour autant l’intérêt porté par des acteurs conséquents au fabricant historique stéphanois de fusils.

Et pour cause, estime la CGT : « Tout le monde sait que des appels d’offre de l’Etat français vont tomber. Probablement au niveau militaire (Verney-Carron a mis au point un fusil d’assaut à la qualité reconnue et par ailleurs déjà vendu en petits volumes à l’étranger mais refusé il y a plusieurs années par l’Etat à la succession du Famas ; c’était avant le conflit ukrainien, Ndlr), plus assurément encore au niveau de la sécurité intérieur. Tout le monde sait aussi que notre savoir-faire dans le non létal à peu, voire pas d’équivalents (le flashball, Ndlr) et qu’il s’agit là d’une véritable une poule aux œufs d’or… Dans un contexte général soumis à une multitude de défis économiques, politiques, écologiques, le segment sur lequel nous sommes est une véritable valeur refuge. »