« Le cancer du pancréas double tous les six ans, aujourd’hui, en France. Vous savez quel est le taux de survie ? 10 % au bout de cinq ans. Et là on autorise des produits qui génèrent, qui sont une des causes du cancer du pancréas. On est où, là, on est où ? », a martelé Sandrine Rousseau, interrogée lundi sur LCP sur la réautorisation de pesticides interdits via la loi Duplomb, réclamée par la FNSEA.
Cette nouvelle déclaration choc de la députée écologiste n’a pas manqué de faire réagir : à la fois ses partisans, qui saluent son franc-parler, mais aussi et surtout… ses détracteurs, qui dénoncent un propos totalement faux.
Peu de survivants à cinq ans
Une partie de la réponse de Sandrine Rousseau est tout à fait juste et vérifiable : selon les spécialistes du centre Léon-Bérard à Lyon, « le cancer du pancréas est classé au 12e rang des cancers les plus fréquents et au 7e rang des causes de mortalité par cancer dans le monde ». Surtout, « le pronostic d’un cancer du pancréas reste très mauvais avec une survie nette sur cinq ans d’environ 11 % ». Un chiffre très proche des 10 % avancés par Sandrine Rousseau.
Les scientifiques constatent également que « l’incidence du cancer du pancréas, ne cesse de croître ». Mais pas du tout au niveau avancé par la députée : « En France, entre 2010 et 2023, le taux d’incidence des cancers du pancréas a augmenté selon un rythme moyen de 1,6 % par an chez les hommes et, de manière plus importante, de 2,1 % chez les femmes. » Autrement dit, une augmentation d’environ 10 % tous les six ans. Il s’agit là d’un pourcentage de la population touchée : l’augmentation de la population et son vieillissement augmentent mécaniquement le nombre de cancers. Le nombre de cas double donc plutôt tous les 20 à 30 ans – pas tous les six ans, selon les dernières données disponibles.
Contactée sur ce point, Sandrine Rousseau cite comme source les propos de Vinciane Rebours, cheffe de service de pancréatologie de l’hôpital Beaujon à Clichy, qui évoque dans Le Monde un « doublement » entre 2000 et 2006, puis entre 2006 et 2012 « en France ». Les données publiées par Le Monde dans le même article, pourtant, ne le démontrent pas, avec un passage de 4 000 à 7 301 nouveaux cas (par an) entre 2000 et 2018.
Alors le chiffre sur le doublement des cancers du pancréas tous les 6 ans vient de cet article et d’une journée scientifique dédiée à ce cancer.
« En France, l’incidence est galopante, un doublement a déjà eu lieu entre 2000 et 2006 puis entre 2006 et 2012. »
www.lemonde.fr/sciences/art…— Sandrine Rousseau (@sandrousseau.bsky.social) 27 mai 2025 à 10:45
Quant à la mortalité, le centre Léon-Bérard observe enfin que « le diagnostic est posé en moyenne à 74 ans pour les femmes et 71 ans pour les hommes, généralement à un stade évolué, ce qui explique le mauvais pronostic de la maladie ».
Des facteurs nombreux
Car la maladie et sa mortalité relèvent de plusieurs facteurs. Selon l’Institut national du cancer, le doublement du nombre de cancers totaux (pas seulement du pancréas) entre 1990 et 2023 est dû pour 30 % à la croissance de la population et à 48 % (hommes) ou 27 % (femmes) à son vieillisement. Le reste (20 % chez les hommes, 47 % chez les femmes) a pour cause une augmentation du risque de cancer.
Une augmentation du risque… due à des « produits interdits », qu’on « s’apprête à réautoriser », comme l’affirme Sandrine Rousseau ? La loi Duplomb porte sur plusieurs persticides mais principalement le très controversé acétamipride, interdit en France depuis 2018. Sur ce sujet, la députée s’avance un peu, au moins pour son rôle dans la survenue du cancer du pancréas.
Un cancer d’abord dû au tabac, à l’obésité, au diabète…
Celui-ci, selon le centre Léon-Bérard, est surtout dû à quatre « facteurs de risques avérés » : tabac, surpoids et obésité, hérédité et prédispositions génétiques, et diabète. Dans le détail, fumer un paquet de cigarettes par jour augmente le risque de 62 %, quand souffrir de diabète l’augmente de 53 % pour les hommes, et 25 % chez les femmes. De même, « les patients présentant des facteurs de risque familiaux ont un risque neuf fois plus élevé de développer un cancer du pancréas que ceux qui n’ont pas d’antécédents familiaux », indique une étude de 2010.
Même en observant la liste des « facteurs limités », difficile d’y déceler le rôle de pesticides. Les études ont travaillé sur des produits régulièrement associés à d’autres cancers… et les ont plutôt écartés : la viande rouge (« résultats contradictoires ») ou encore le café (dont le rôle est jugé « peu probable »).
S’agissant de l’alcool, une toute nouvelle étude publiée mardi dernier confirme une augmentation : « Chaque dose supplémentaire de 10 g/jour d’alcool (un verre) est associée à une augmentation de 3 % en moyenne », indiquent les chercheurs.
Pas de lien (avéré) avec les pesticides
Et les pesticides, alors ? Ils ont été rangés dans les « facteurs professionnels » – suggérant une exposition forte et régulière : les premières victimes humaines de pesticides dangereux sont souvent les agriculteurs eux-mêmes. Sur ce point, le centre Léon-Bérard observe « des résultats contradictoires », avec « une seule étude « controversée » mettant en évidence un lien « entre expositions aux pesticides et cancer du pancréas ». Surtout, en 2015, « une vaste étude cas-témoins » montre qu’« aucune association n’a été observée pour une quelconque exposition aux pesticides en général ou à l’un des sous-groupes de pesticides ».
Dès lors, les réseaux sociaux se sont empressés de condamner les propos de Sandrine Rousseau, comme Jérôme Barrière, un oncologue très actif sur X : « Je n’ai trouvé aucun lien entre cette molécule et cancer du pancréas. Ce qui est terrible c’est que Mme Rousseau parle d’une généralité et ensuite infère qu’un lien existerait forcément avec son sujet du moment en ignorant totalement les autres facteurs de risque. C’est politisé », regrette-t-il.
Les agriculteurs moins touchés…
Il observe aussi, études à l’appui, que le taux d’incidence de cancers du pancréas est plus faible… chez les agriculteurs que dans la population générale – sans conclure toutefois à une relation de cause à effet.
Contactée également sur le lien entre les pesticides en général et le cancer du pancréas, Sandrine Rousseau maintient ses affirmations : elle cite une étude dont Le Monde s’est fait écho, faisant le lien « entre la répartition géographique du risque de contracter cette maladie et l’utilisation locale des pesticides ».
Des travaux qui, toutefois, n’écartent pas d’autres facteurs, comme le précise l’article : « Ces travaux, à eux seuls, ne permettent pas d’expliquer la progression rapide de la maladie, mais ils ouvrent une voie de recherche peu défrichée jusqu’à présent. » L’apparition de cancers étant souvent tardive, ils peuvent aussi avoir été causés par des produits interdits depuis plusieurs années, mais longtemps utilisés dans un secteur donné.
Dysfonctionnements érectiles chez l’homme
L’acétamipride n’est pas pour autant inoffensif : il est considéré comme hautement toxique pour les oiseaux et les vers de terre, et modérément toxique pour les organismes aquatiques. Son utilisation menace la chaîne alimentaire et donc la biodiversité – comme le défend aussi Sandrine Rousseau dans cette même émission. Mais sans risque cancérogène avéré à ce jour. En revanche, classé comme « faiblement toxique » chez l’être humain et certains mammifères, il constitue une des causes des dysfonctionnements érectiles chez l’homme, ainsi que d’infertilité masculine selon une étude de 2015.
Reste une inconnue, encore trop peu étudiée : l’effet « cocktail » de certains produits qui, combinés entre eux, accumulés dans la nature et/ou le corps humain, ou encore associés à d’autres substances naturelles ou non, est suspecté d’effets néfastes sur la santé.