«Il y a 10 000 postes disponibles dans les industries de défense partout en France», a estimé, début décembre, le délégué général pour l’armement, Emmanuel Chiva, devant la commission de la défense et des forces armées de l’Assemblée nationale. Pour établir son diagnostic, il s’est appuyé sur une étude réalisée entre octobre et novembre 2024 auprès de 2500 entreprises, à laquelle L’Usine Nouvelle a pu avoir accès. Selon les 600 entreprises ayant répondu au questionnaire, «près de 3000 postes sont immédiatement disponibles». En extrapolant aux 4500 entreprises qui forment la base industrielle et technologique de défense (BITD), la Direction générale de l’armement (DGA) estime le besoin national à 10000 postes.


Les carnets de commande se remplissent


En France, l’industrie de la défense représente 210000 emplois directs et indirects, et génère un chiffre d’affaires annuel de 30 milliards d’euros. Elle est constituée de 4500 entreprises dont neuf grands donneurs d’ordres (Ariane Group, Arquus, Airbus Defence and Space, Dassault Aviation, KNDS France, MBDA, Naval Group, Safran, Thales) et 1200 entreprises considérées comme stratégiques.


Avec l’engagement de la France à équiper militairement les forces ukrainiennes, la volonté de moderniser et de renforcer l’arsenal des forces françaises avec une loi de programmation militaire 2024-2030 ambitieuse et des succès à l’export, les carnets de commandes des entreprises de la défense n’ont jamais été aussi remplis.


Paradoxalement, ce qui pourrait sembler être une bonne nouvelle soulève des inquiétudes. Avec un tissu industriel fragilisé par le Covid et la hausse du coût des matières premières, la pénurie de main-d’œuvre est l’un des principaux freins à l’économie de guerre, a reconnu la DGA lors de son audition à l’Assemblée nationale. De quoi mettre en péril les objectifs d’une montée en production rapide pour répondre aux besoins des armées. Afin de parer à une éventuelle guerre de haute intensité, les militaires veulent plus de missiles, de véhicules blindés, de navires de guerre… Les entreprises doivent donc recruter à tour de bras. Faisant face à des problématiques relevant davantage de la production que du développement, elles recherchent en priorité des ouvriers et des techniciens (deux tiers des postes à pourvoir), ainsi que des cadres (le tiers restant).


DES ATTENTES TROP EXIGEANTES ?


Le fabricant européen de missiles MBDA a quasiment atteint son objectif d’embaucher 1000 CDI en France en 2024. Vu son carnet de commandes et l’activité, l’objectif sera similaire cette année. «Le marché est tendu, confie une source en interne. En région Centre-Val de Loire, il est difficile de recruter certaines compétences comme les soudeurs et les chaudronniers.» L’entreprise a besoin de profils dotés de plusieurs années d’expérience. Même combat chez Naval Group. Le principal fournisseur de bâtiments de la Marine nationale envisage plus de 1000 recrutements cette année. À ce chiffre, constant depuis trois ans, s’ajoutent 450 alternants et 450 stagiaires. Les talents visés sont variés : spécialistes IT et digital, électriciens, électroniciens, soudeurs…


Les profils les plus recherchés dans la défense sont les ouvriers qualifiés en magasinage et manutention, les techniciens en mécanique et en travail des métaux, les ingénieurs R&D et méthode… «Les métiers en tension du secteur industriel demandent des qualifications spécifiques. Cette exigence explique en partie les difficultés de recrutement», souligne l’étude de la DGA. Pour soutenir les industriels, le ministère des Armées s’est rapproché de France Travail et de l’Apec afin d’établir un plan d’action au niveau régional. Selon le ministère, les entreprises doivent aussi faire preuve d’une plus grande souplesse. Leurs difficultés pourraient également provenir d’une sélectivité trop grande, donc contre-productive. Ainsi, lors d’un e-forum emploi défense organisé parla DGA et France Travail en mars 2024, seules 16% des candidatures soumises aux PME et ETI avaient été retenues pour un premier entretien.


Afin de combler cette pénurie de main-d’œuvre, la DGA a étendu le dispositif des réservistes aux enjeux industriels. Il permet à une entreprise ou aux forces armées de bénéficier du renfort de réservistes mobilisés sur des missions spécifiques, pour atteindre rapidement des cadences de production en cas de crise ou de guerre. Des accords ont déjà été signés avec KNDS France, Naval Group, Arquus, Verney-Carron… À terme, c’est un vivier de 3000 réservistes industriels de défense qui pourra être déployé chez les acteurs privés et publics.


3739 février 2025Vous lisez un article du numéro 3639 – Février 2025

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