D’immenses blocs de roches à l’allure d’ardoise foisonnent dans le centre de la Bretagne et autour de Rennes. Les promeneurs n’y voient sans doute que des structures inertes. Le paléontologue Didier Néraudeau, lui, « ne pense pas aux cailloux mais à la vie qu’ils contiennent ».
Dans ces anciens sédiments marins pétrifiés gisent, en effet, de véritables trésors : « Les traces des plus anciens animaux découverts en France », assure le responsable du master bio-géoscience de l’Université de Rennes 1. Des fossiles qui remonteraient à environ 550 millions d’années, à une époque durant laquelle la Bretagne était sous les eaux, sur une planète quasiment toute bleue, d’où jaillissaient des terres émergées aux contours très éloignés de ceux des continents d’aujourd’hui. Quelques millions d’années plus tard survenait « l’explosion cambrienne », qui s’est traduite par l’apparition de nombreuses formes de vie animale. Il faudra attendre -400 millions d’années pour voir les premières espèces fouler la terre ferme.
Un fossile d’animal de type méduse d’un centimètre, découvert par le paléontologue Didier Néraudeau, de l’Université de Rennes 1. (Didier Néraudeau/Université de Rennes 1)« Une aiguille dans une meule de foin »
Des découvertes de fossiles d’animaux marins aussi anciens qu’en Bretagne avaient déjà été faites en Australie, en Russie, en Chine… et aussi en Espagne et dans le sud de l’Angleterre. « Mais bizarrement, personne n’avait vraiment passé du temps à en chercher en Bretagne alors qu’on trouve, dans le massif armoricain, les roches sédimentaires les plus anciennes de France. On a le potentiel géologique mais ça revient à chercher une aiguille dans une meule de foin. 99 % de ces roches-là ne contiennent pas d’animaux », raconte Didier Néraudeau.
Pour démarrer ses recherches, il y a dix ans, le scientifique s’est appuyé sur les découvertes, remontant à la fin du XIXe siècle, d’un pharmacien rennais, le premier à avoir trouvé des traces de vie dans ces sédiments. « J’ai commencé à fouiller où il avait déjà cherché, autour de Rennes. »
Un fossile de ver annelé mesurant deux millimètres de diamètre, découvert par le paléontologue Didier Néraudeau, de l’Université de Rennes 1. (Didier Néraudeau/Université de Rennes 1)
En dix ans d’enquête, le paléontologue et ses étudiants ont notamment mis au jour des pistes fossilisées dans des sédiments. « On ne sait pas exactement quels animaux ont fait ces pistes mais on peut dire qu’ils étaient vermiformes. Ces vers se déplaçaient sur le fond marin, en se nourrissant du film d’algues microscopiques qui le tapissait. On aperçoit ces traces de broutage », détaille le scientifique.
« Des sortes de toutes petites méduses »
Outre « ces choses » filiformes, d’environ un millimètre de diamètre, l’équipe de Didier Néraudeau a fini par mettre la main sur « tout un monde d’animaux qui n’existent plus ». « La plupart du temps, ils ressemblent à de toutes petites méduses, de quelques centimètres. On a aussi trouvé des animaux plus étranges, qu’on n’arrive pas à interpréter. »
Un fossile de tapis bactérien posé sur le fond marin, découvert par le paléontologue Didier Néraudeau, de l’Université de Rennes 1. (Didier Néraudeau/Université de Rennes 1)
C’est désormais dans la description de cette étonnante faune que le scientifique souhaite orienter ses recherches. Ce bestiaire mystérieux aurait vécu plutôt près des côtes, dans des eaux peu profondes – de quelques dizaines de mètres seulement – où la lumière pénétrait jusqu’au fond, d’après les derniers travaux de l’équipe rennaise.
Didier Néraudeau et ses étudiants vont également concentrer leurs recherches en Normandie, pour avancer de quelques millions d’années dans le temps. Les roches y ont, en effet, été datées aux alentours de -535 à 520 millions d’années, soit après l’explosion cambrienne de -539 . « On voit l’apparition de terriers verticaux : la vie commence à exploiter la vase des fonds marins pour s’enfouir dedans, se cacher, se nourrir. On va pouvoir mieux comprendre comment a évolué la vie ! », s’enthousiasme le paléontologue.