« Je n’étais pas bavard, mes images parlaient pour moi, elles disaient ma sensibilité, ma pensée. L’image est ma destinée… », disait Raymond Depardon en 2024.
L’exposition Le Bonheur est dans l’image, installée depuis le 1er mai dans la salle Richelieu de l’abbaye de La Chaise-Dieu, permet de comprendre l’œuvre, la philosophie et l’évolution professionnelle du photographe âgé de 82 ans.
De la ferme du Garet à l’agence Magnum
Marlon Brando tape sur un tam-tam entre deux clichés de Brigitte Bardot, tantôt à bicyclette, tantôt au côté de Marcello Mastroianni sur le tournage de Vie privée, de Louis Malle (1960). Un peu plus loin, Johnny Hallyday tente de traverser le bas des Champs-Élysées au volant de sa décapotable (1961)… « À ses débuts, il travaille pour l’agence Dalmas qui l’envoie photographier les vedettes du moment », détaille Lydie Bravard-Chevalier, guide conférencière.
L’îlot suivant (« Le Cube ») fait entrer le visiteur dans l’intimité familiale de la ferme du Garet, à Villefranche-sur-Saône, où il a grandi : on y voit sa femme, la cinéaste Claudine Nougaret, et leur fils Charles-Antoine (1991), ou encore sa mère Marthe (1982).
Dans cette thématique, une image interpelle : deux chatons emmitouflés, chacun dans un godillot. « Elle fait partie de ses premières photos. Il avait une quinzaine d’années », précise l’assistante de médiation patrimoniale.
La légèreté des années 1960 et la quiétude familiale laissent place à l’exploration d’un monde à la stabilité incertaine. « Raymond Depardon devient ensuite photoreporter et l’agence Dalmas l’envoie en Algérie pour suivre la mission scientifique SOS Sahara. En 1966, il co-fonde l’agence Gamma et prône la propriété du photographe sur ses négatifs. Il entrera chez Magnum en 1978. »
La guerre du Liban, « un tournant dans sa vie »
La suite de l’exposition est la radiographie d’une époque dominée par une atmosphère de Guerre froide. D’insouciants enfants Berlinois de l’Ouest s’amusent à construire leur propre mur (1962). D’autres tuent le temps dans les quartiers défavorisés de Glasgow au début du Thatchérisme.
À Sioux City, Richard Nixon, en pleine campagne électorale, sort d’un avion dont l’aile est à moitié recouverte par la bannière étoilée (1967). Nelson Mandela, tout sourire dans son bureau de Johannesburg (1993), côtoie les grands sportifs : Tommie Smith remporte le 200 mètres aux JO de Mexico (1968) et la jeune Nadia Comaneci livre une incroyable performance sur la poutre lors des JO de Montréal (1976). Des fragments d’éternité arrachés au réel.
Arrive un combattant phalangiste, fusil-mitrailleur à la main, lors de la guerre du Liban en 1978 : « Raymond Depardon s’était rendu sur plusieurs terrains de conflits mais cet épisode est un tournant dans sa vie et va changer sa façon d’envisager la photo », explique Lydie Bravard-Chevalier.
Raymond Depardon bouscule les codes
La scénographie du Bonheur est dans l’image emmène les visiteurs vers d’autres thématiques mettant en lumière les réflexions et les points de vue du Rhodanien : « dedans/dehors », « déserts » (qu’il a découvert en 1960 lors d’un reportage pour Paris Match), « de dos »…
Les sujets sont variés et certaines prises de vues sont des cadres d’émotion. On est marqué par celle d’un homme enfonçant sa tête à l’intérieur de sa veste dans un hôpital psychiatrique de Turin (1980). Plus artistiques, ses cadrages de paysages sont aussi étonnants : « Raymond Depardon bouscule complètement les codes. Par exemple, il casse la règle des tiers et fait des photos en format hauteur », commente Lydie Bravard-Chevalier.
Une photo de Fay-sur-Lignon prise en 1991
L’exposition de 95 clichés, un mélange de noir et blanc et de couleurs, s’achève dans des univers chers au cinéaste qui avait réalisé le triptyque documentaire Profils paysans (2001-2008) : la France périphérique et la vie rurale. Le monde paraît quelquefois figé. L’une des images, prise à Fay-sur-Lignon (1991), montre deux hommes âgés devant le Café des amis sur une route enneigée.
« J’étais capable de photographier des choses terribles, mais j’avais peur de photographier des gens dans la rue, de m’approcher d’eux, des gens sans histoire », avait-il écrit dans Errance (2000). Pourtant, c’est bien avec ce regard humaniste posé sur les « gens sans histoire » que Raymond Depardon a surtout touché le public.
Le Bonheur est dans l’image, de Raymond Depardon, dans la salle Richelieu de l’abbaye de La Chaise-Dieu jusqu’au 21 septembre (ouverture du mardi au dimanche et visites guidées chaque jeudi et dimanche à 16 heures).
Tarif : de 6 à 11 euros (couplé avec la visite de l’abbaye). Renseignements et horaires sur www.chaisedieu.fr.