Jordan Bardella se serait bien passé de cette carte postale que lui a envoyée la «cheffe» du RN depuis les antipodes. En visite en Nouvelle-Calédonie, pour réaffirmer sa stature présidentielle face à son dauphin qui se voit déjà dans la course à l’Elysée, Marine Le Pen en a profité pour lui faire un joli croc-en-jambe. Manifestement agacée par la une de Valeurs actuelles du mercredi 28 mai, où Bardella prend la pose avec en titre «Objectif 2027» et déclare «nous sommes prêts à gouverner», en se voyant déjà en haut de l’affiche, la patronne des députés du Rassemblement national a remis l’impétrant à sa place.

«Je suis candidate à la présidentielle et par conséquent, demain, je peux être amenée, si je suis élue […] à avoir une part active dans les décisions qui pourraient être prises» concernant l’avenir de la Nouvelle-Calédonie, a déclaré Marine Le Pen, faisant fi de la peine d’inéligibilité de cinq ans à laquelle elle a été condamnée dans l’affaire des assistants parlementaires du RN, mais dont elle a fait appel. Interrogée au micro de LCI depuis Nouméa, elle a ajouté qu’elle avait bien l’intention de «participer à ces consultations» sur l’archipel, qui débuteront mi-juin à Paris, en se posant en arbitre «entre les deux “radicalités” indépendantistes et “loyalistes »».

Mais Jordan Bardella aurait-il sa place dans ces discussions ? «Je ne suis pas sûre que Jordan, pour le coup, connaisse très bien les problématiques de la Nouvelle-Calédonie», a taclé Marine Le Pen. Avant d’ajouter avec une pointe de perfidie : «On se partage nos talents, dirons-nous.» Sous-entendu moi je sais, lui ne connaît rien au dossier… Voilà le jeune ambitieux remis à sa place, et pas celle de numéro un. «Jordan Bardella a la stature pour être Premier ministre parce que c’est la responsabilité que je compte lui confier, a-t-elle ajouté. Mais pour l’instant, je suis candidate à la présidentielle, et je crois savoir qu’il a également indiqué qu’il soutiendrait ce duo que nous formons […] et que nous représenterons aux Français en 2027.»

On l’aura compris, celle qui reste l’héritière et la patronne de la PME familiale n’a aucune intention de «disparaître» au profit du jeune président du parti d’extrême droite rendu euphorique par son score «historique» aux élections européennes et l’empêchement potentiel de sa marraine, Marine. Magnanime, la patronne a tout de même concédé : «Si je ne peux pas être candidate, évidemment que Jordan Bardella sera candidat à la présidentielle.» Mais ce n’est décidément pas son scénario favori.

Ce n’est pas la première fois que Le Pen recadre Bardella. En meeting à Narbonne le 1er mai, elle avait réaffirmé sa volonté de gagner la bataille judiciaire contre son inéligibilité et son «ambition de pouvoir représenter [les électeurs RN] dans deux ans à la prochaine présidentielle». Une reprise de volée destinée à son dauphin qui avait cru pouvoir affirmer ses ambitions présidentielles dans le Parisien sur le thème «si elle devait être empêchée demain, je pense pouvoir vous dire que je serais son candidat».

Et le principal intéressé, dans tout ça ? En déplacement à Beaucaire, ville dirigée par le Rassemblement national, Jordan Bardella a gardé le doigt sur la couture du pantalon, tentant de déplacer la responsabilité de la mornifle sur les épaules de la presse : «Elle ne dit pas que je ne connais pas le dossier. Et je ne m’amuserais pas à répondre à ce genre de questions, je pense que vous sortez la phrase de son contexte.» Rappelé à sa condition de numéro 2 ‐ toujours précaire, au FN comme au RN ‐, le dauphin a tenté de rester droit dans ses bottes, livrant le ton des éléments de langage à venir : «Marine Le Pen s’est exprimée il y a quelques minutes sur LCI et a eu l’occasion de rappeler qu’il n’y avait pas de feuilles de papier à cigarette entre nous, et je crois que c’est là l’essentiel.»

Des copeaux de langue de bois qu’avaient également débités les cadres du parti. La députée et vice-présidente du RN, Edwige Diaz, a assuré sur TF1 qu’il y avait «une grande confiance entre Marine Le Pen et Jordan Bardella», ajoutant que les deux responsables «travaillent en étroite collaboration avec l’ensemble des cadres du Rassemblement national» pour «la victoire de 2027, ou peut-être même avant s’il y a une dissolution de l’Assemblée nationale.» Le député de la Moselle et porte-parole du RN, Laurent Jacobelli, a lui un peu ramé au micro de France Info sur le thème «tout va bien au RN, Marine et Jordan travaillent ensemble». Mais tout en vantant, «la force d’un tandem», il a une nouvelle fois fait acte d’allégeance à qui de droit : Marine Le Pen «est la patronne, elle est notre candidate légitime». On n’est jamais trop prudent.

Mise à jour à 15h13 avec la réaction de Jordan Bardella